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Le monde selon Macron

[#Sous un autre angle]

Tous les samedis, retrouvez une nouvelle chronique de Stéphane Bugat. Pour MeltingBook, il passe au crible un fait de société, économique, politique à la lumière son parcours de journaliste, consultant et auteur de plusieurs livres sur l’actualité politique et sociale.

On a pu croire qu’il avait soudain perdu cette intuition et surtout cette baraka grâce auxquelles il s’est installé à l’Elysée, bousculant sur son passage l’ensemble du paysage politique français. Tout avait été pourtant soigneusement préparé et mis en scène.

Point d’orgue d’un déplacement en Grèce, c’est sur la colline de la Pnyx, faisant face aux monuments de l’Acropole, qu’Emmanuel Macron s’est installé, ce jeudi 7 septembre, afin de prononcer un discours qui se voulait rien moins qu’annonciateur d’une nouvelle construction européenne, dont il serait évidemment le gourou.

« Je veux, » s’est-il ainsi exclamé, « que collectivement nous retrouvions l’énergie première, la force de refonder notre Europe, non pas de poursuivre ce qui ne va pas ou d’essayer de l’ajuster, mais bien de commencer par l’examen critique, sans concession, de ces dernières années, d’en retrouver la force première, l’ambition. »

Les images et les bonnes intentions étant au rendez-vous, l’impact médiatique ne faisait pas de doute. C’était sans compter avec les éléments, en l’occurrence un ouragan annoncé comme d’une violence sans précédent et baptisé Irma, se dirigeant tout droit sur les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélémy. D’un coup d’un seul, les médias se sont évidemment détournés du discours messianique pour s’intéresser aux ravages que pouvait provoquer mère nature.

Compassion médiatique

Pour ne rien arranger, Emmanuel Macron a cru bon, quelques heures plus tard, s’exprimant devant les Français d’Athènes, de pourfendre ceux qui s’opposent à sa grande œuvre réformatrice, affublés des doux qualificatifs de « fainéants, cynique et extrémistes. »

On le sait habitué aux propos intempestifs, pour ne pas dire malveillants, à l’égard de ses compatriotes. Mais ce qui pouvait irriter de la part d’un jeune homme ambitieux, ayant assurément une idée flatteuse de lui-même, devient franchement inadmissible exprimé par le premier personnage de l’Etat.

Tout indique en tout cas que le cynisme qu’il dénonce véhémentement chez ceux qui hésitent à l’acclamer ne lui est pas totalement étranger. C’est ainsi, par exemple, que l’on a pu interpréter le brillant exercice de compassion médiatique auquel il s’est livré lors de son déplacement dans ces Îles des Antilles auprès d’une population encore sous le choc des terribles destructions provoquées par le passage d’Irma. Qu’il ait choisi de le faire le jour même des manifestations contre les ordonnances sur le travail ne doit évidemment rien au hasard.

En s’intéressant à la détresse de nos compatriotes ultra-marins, ce qui est a priori bienvenu, il a également réussit à détourner la curiosité des médias de la mobilisation syndicale. D’autant qu’il maîtrise cet exercice consistant à écouter les mécontents, à rassurer les inquiets, à embrasser les enfants, à sourire à tout le monde, à promettre des aides en quantité et des jours meilleurs.

On notera, à cet égard, que le procès en passivité fait au gouvernement, est injuste. Après le passage d’Irma, lorsque l’on a pris la mesure des dégâts, les moyens publics disponibles et les secours de toutes origines ont été mobilisés avec efficacité, compte tenu de l’isolement et de l’éloignement des territoires concernés. De ce point de vue, Edouard Philippe, le Premier ministre, s’est comporté en solide chef d’orchestre.

Ce qui est vrai, c’est que l’appareil d’Etat et ses représentants locaux, ne sont pas nécessairement formés à la gestion de crises d’une telle ampleur, à plus forte raison lorsqu’elle a une forme aussi brutale et largement imprévisible. Ce n’est pas en quelques semaines qu’on peut faire évoluer la culture et les comportements administratifs, même si on peut espérer qu’une telle expérience y contribue.

La défense du salariat, un non sens

En s’attardant sur les dégâts à Saint-Martin et à Saint-Barthélémy, Emmanuel Macron s’est-il pour autant mis définitivement à l’abri des opposants à sa réforme du travail et aux autres chantiers qu’il prévoit d’ouvrir sur le chômage, les retraites, etc. ?

Rien n’est moins sûr. En revanche, il est probable que cela ne l’inquiète pas outre mesure. Et il faut méconnaître ce qui l’anime pour s’en étonner.

Emmanuel Macron sait qu’il dispose d’une majorité parlementaire qui va le suivre aveuglément pendant un certain temps ne serait-ce que parce qu’elle est trop inexpérimentée par procéder autrement. Surtout, sa propre vision du monde l’incite à considérer ceux qui prétendent protéger les acquis sociaux comme d’irréductibles conservateurs.

Pour lui, la défense du salariat est un non sens puisque ce salariat il le considère comme condamné à disparaître. À ses yeux, les affaires importantes du public comme du privé doivent être confiées à une étroite oligarchie tout droit issue des grandes écoles, laissant à tout un chacun la possibilité de tirer son épingle du jeu au gré de sa créativité, de sa débrouillardise, de son opiniâtreté et de sa soif au gain. Dès lors, à quoi bon un droit du travail qui ne peut que compliquer les choses dans son meilleur des mondes.

L’autre donnée cardinale du monde selon Macron, c’est l’idée selon laquelle la dépense publique, qu’elle porte sur le fonctionnement comme sur l’investissement, est condamnable par principe. La seule tolérance pouvant éventuellement concerner les aides directes et indirectes apportées aux entreprises.

Faire preuve de réalisme

C’est à cette aune qu’il faut comprendre la succession de « réformes » qu’il annonce. Mais le plus révélateur sera encore la manière dont il va finalement construire son budget 2018. Comme on pouvait s’y attendre, un certain nombre de ministères ont pesé de tout leur poids pour échapper à la purge annoncée. Les armées, en première ligne, puis l’Éducation nationale, suivis de près par l’Intérieur et la Justice, pour ne citer qu’eux.

Notre président de la République se veut intransigeant avec ses principes et pas seulement pour obtenir les bonnes grâces de nos amis allemands, dont la chancelière après sa prochaine réélection n’en sera que plus exigeante.

Chaque jour qui passe, lui démontre cependant que sa vision du monde n’est pas forcément en phase avec celle de ses compatriotes.

Car, contrairement à ce qu’affirment encore ses admirateurs, s’il a été élu, après avoir obtenu 24% des voix au premier tour (cinq ans plus tôt le score de François Hollande était de 28%) c’est davantage pour « faire barrage » à la candidate du Front National que pour manifester une aveugle adhésion à son programme. Utile rappel.

Dans ces conditions, sa légitimité, aussi incontestable soit-elle et ce jusqu’au terme de son mandat, ne devrait pas lui faire oublier la nécessité lorsqu’on exerce le pouvoir de faire preuve de pondération et, pour tout dire, de réalisme. Ce réalisme ne consistant pas à satisfaire certains intérêts spécifiques à l’exception de tous les autres.

Stéphane Bugat

Raconter, analyser, avancer.

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