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La police se mutine. Et après?

Après l’agression à Viry-Châtillon, samedi 8 octobre, d’une brigade de police à coup de cocktail Molotov, blessant gravement l’un des policiers, ses collègues ne décolèrent pas.

À plusieurs reprises, ils se sont rassemblés de nuit, pendant leurs heures de service, pour manifester. Mercredi 9 novembre, les statuts de l’association « Mobilisation des policiers en colère » ont été déposés. Prochaine étape, une grande mobilisation nationale.

Un mouvement non déclaré, qui outrepasse le droit de réserve habituel des fonctionnaires de police et qui a gagné l’ensemble du territoire français.

Cette « mutinerie » policière est le déversoir de revendications déjà connues, mais aussi le théâtre des failles profondes au sein de la maison poulaga.

Sur les sms reçus par les fonctionnaires de police pour les informer, quelques heures avant, du lieu et de l’heure des mobilisations « sauvages », aucune marque syndicale n’est précisée.

Une simple image aux couleurs de la France avec un profil d’une Marianne dans l’ombre, accompagné du message.

Une forme de désaveu d’une frange de la police pour ses représentations syndicales, très puissantes.

La crise syndicale policière

 « Les syndicats policiers fonctionnent un peu comme une mafia, affirme un brigadier sous couvert d’anonymat. Si tu veux une mutation, un avancement etc. t’as intérêt à être syndiquer là où il faut. Quand t’obtiens quelque chose grâce à ce syndicat, tu es redevable, avance-t-il en montrant un message reçu après une mutation réussie : « ça va marcher pour toi mais ne nous oublie pas le moment venu…»


Manifestation : Cazeneuve « comprend l… par publicsenat

 « Il y a une explosion des postes cachés : les permanents syndicaux sont mutés sur des postes qui n’ont même pas été ouverts aux autres. Ils négocient leur carrière avec l’administration et les hommes politiques. Et nous ? On doit se mettre à genoux pour avoir un avancement, leur servir le café ?», balance Frédéric*, un agent des « RG ».

Promotions, grades et augmentation de salaire sans passer d’examens, sans même avoir de présence réelle sur un poste, postes réservés aux « amis », accointance avec des hommes politiques…

« On est miné par la corruption», renchérit le policier, excédé.

Niant la crise dont ils sont l’objet, les principaux syndicats tentent coute que coute de réinvestir le débat et de canaliser la mobilisation derrière leurs rangs.  

« Il n’y a aucune discréditation des syndicats, martèle Jean-Claude Delage, secrétaire général d’Alliance, très décrié pour son niveau de vie. Nous représentons la majorité des policiers. »

Même son de cloche du côté de l‘UNSA Police. « Nous ne sommes pas dépassés par la base, ceux qui ont manifesté la nuit ne représente qu’1% des policiers. Aux élections syndicales, il y a 85% de policiers syndiqués, nous sommes tout à fait légitimes », explique Philippe Capon, secrétaire Générale de l’UNSA Police.

Sans préciser que tout policier qui veut évoluer dans sa carrière n’a pas d’autre choix que de se syndiquer. « Je suis syndiquée à l’UNSA mais j’ai décidé de rendre mon timbre, annonce Stéphanie*, 18 ans de carrière dans un commissariat de la petite couronne parisienne et manifestante du soir. J’en peux plus du copinage. 

arc-de-triompheRassemblement de policiers le 11 novembre 2016 près de l’Arc de Trimphe (photo/François Guillot, AFP)

 « Ils étaient sept syndicats à appeler à manifester devant le palais de justice de Paris (mardi 25 octobre) et ils n’ont rassemblés que 150 personnes à tout casser… renchérit Frédéric. A la place de la République, (mercredi 26 octobre) on a appelé hors syndicats et on est plusieurs centaines. J’aurai honte à leur place », lance-t-il, avouant avoir des accointances avec SGP-FO, l’un des deux seuls syndicats à ne pas avoir signé le « protocole » d’avril dernier, vendu comme un accord historique par les grands syndicats.

« Une arnaque ! d’après Frédéric. Les CEA (Corps d’encadrement et d’application incluant les gardiens de la paix et les gradés jusqu’au Major, ndlr) ont pris 50 euros d’augmentation par mois alors que les tauliers se gavent sur les primes annuelles : 28 000 euros par an en moyenne pour un commissaire et 43 000 pour un divisionnaire ». Si les syndicats sont dans la ligne de mire, la hiérarchie en prend aussi pour son grade.

La pression du chiffre : un mal être policier au quotidien

« Ils nous mettent la pression pour qu’on fasse du chiffre et au final, c’est eux qui prennent la prime », renchérit Annie*, 17 ans de maison, en poste dans un commissariat de la petite couronne.

« Le taulier peut t’envoyer 4 heures en verbalisation pour « compenser » le temps que t’as passé à t’occuper d’un SDF… histoire de remplir les objectifs chiffrés » se souvient un autre « RG », anciennement en poste dans un commissariat.

« On est en grève du zèle, affirme Annie, on ne fait plus de verbalisation pour faire baisser leur chiffre : on s’attaque au porte-monnaie ».

Les effets de cette grève sont difficilement chiffrables pour le moment. Cela dit, la nature de la mobilisation démontre les limites de la politique du chiffre dans la police, mais aussi les divisions qui perdurent entre services, entre tauliers ou les « coups bas » sont monnaies courantes.

« Falcone, le DGPN (Directeur Général de la Police nationale, ndlr) peut pas blairer le préfet de Paris… ils passent leur temps à s’envoyer des peaux de banane et c’est nous qui en faisons les frais, balance de nouveau Frédéric, pourtant attaché à l’indépendance de la Préfecture de Paris par rapport à la DGPN. C’est une histoire de pouvoir, de politique… Nous, on s’en fout de leurs égos surdimensionnés : on veut pouvoir faire notre boulot !»

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Malgré le désamour qui tend à détacher les policiers de leurs tauliers et de leurs syndicats, Bernard Cazeneuve appelle au « respect de la hiérarchie » et a reçu, mercredi 26 octobre les principaux syndicats.

Il a promis de débloquer une enveloppe de 250 millions d’euros pour renouveler le matériel des policiers, particulièrement vétustes.

Les policiers demandent aussi d’augmenter les effectifs, réduits d’au moins 13 000 postes par Nicolas Sarkozy. « On est deux en patrouille. Il y a des interventions qu’on ne fait pas parce qu’on n’est pas assez nombreux, relance Annie.

Et puis, il y a un vrai problème de justice. La semaine dernière, on s’est fait caillasser, on a chopé le mec en flagrant délit les poches pleines de cailloux. Trois jours après, on le recroise dans la rue. Il se fout de notre gueule, il nous dit : ça sert à rien de vous faire chier, demain j’suis dehors… »

Une justice « jugée « laxiste » par les fonctionnaires

L’une des revendications des policiers se tourne aussi vers la justice qu’ils jugent trop laxiste. C’est pour cela que les principaux syndicats, en mal de légitimité, ont appelé à se rassembler chaque mardi devant les tribunaux.

« Nous voulons que la justice suive le travail des policiers et que les voyous soient condamnés », explique Jean-Claude Delage, secrétaire général du syndicat de police Alliance.

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Refusant de critiquer l’organisation syndicale de la magistrature Jean-Claude Delage (photo ci-contre/L’opinion) a cependant fustigé une certaine « culture de l’excuse » prônant des « sanctions plus durs contre les délinquants ».

Le syndicat des magistrats rétorque que la peine moyenne prononcée par les tribunaux n’a cessé d’augmenter passant de 6,9 mois en 2012 à 8,4 mois en 2015.

Le nombre de condamnations à de la prison ferme est passé de 122.301 à 124.702 sur la même période.

Un durcissement prôné notamment par l’extrême droite, comme l’ouverture d’un nouveau débat sur l’élargissement de la légitime défense des policiers pourtant déjà renforcé en juin dernier.

Le Front national demande la mise en place d’une « présomption de légitime défense » qui permettrait aux policiers d’ouvrir le feu « en cas de danger imminent », ou au bout de deux sommations, si l’agresseur refuse d’abandonner son arme, même s’il n’a pas encore tiré.

Bernard Cazeneuve a annoncé vouloir relancer le débat à ce propos, alors que le ministre de la justice, Jean Jacques Urvoas s’est dit défavorable.

Depuis le début de cette mobilisation, les suspicions d’influences de l’extrême droite planent. Cela dit, « il y a de tous bords politiques dans les rassemblements, témoigne un fonctionnaire sous couvert d’anonymat. Selon une étude du Cévipof, 57% des policiers sont prêts à voter pour le FN…

La tentative de récupération par Rodolphe Schwartz, ancien fonctionnaire membre d’une liste élective du FN à Paris ne serait qu’un micro-évènement. Auto proclamé porte-parole du mouvement, il en a d’ailleurs été écarté, fustigé par la « base ».

Aucune réflexion sur la rupture avec la population

 « L’autre élément, c’est que les policiers sont confrontés à un réel désamour de la société. Mais face à cela, les policiers ne se remettent pas en cause. Si ça ne va pas, c’est la faute des politiques, des syndicats, de la justice…, a pointé Sébastien Roché, sociologue à l’occasion d’une interview donné au journal Le Monde, le 21 octobre dernier. Ils ne se disent pas : « Et nous, quelle est notre part de responsabilité ? » Mais comment se fait-il qu’ils soient mal aimés ? Où est la réflexion des syndicats là-dessus ? »

citoyen-policeFace à cette question, les syndicats sont en effet dans la négation de l’existence même d’un quelconque désamour. « Il n’y a pas de rupture entre la population et la police, affirme Jean-Claude Delage. Il y a une rupture entre les voyous et la police. La population, ne demande pas de prévention, ou de lien avec la police, elle demande plus de répression pour vivre en paix ».

Un discours jugé simpliste, qui met en colère les policiers. « Il fallait entendre les manifestations contre la loi travail… quand des milliers de personnes chantent « tout le monde déteste la police »… je suis rentré chez moi, je n’étais pas bien », se souvient ce membre des « RG », non syndiqué, qui avoue cependant qu’au sein de la maison, aucune réflexion n’est mené sur cette rupture avec le peuple.

« On est mauvais en termes de maillage social. Il nous faudrait du temps et surtout une volonté politique. D’autant qu’on sait très bien que plus le maillage social est bon, plus on est soutenu par la population, plus on a d’informations… explique-t-il. Mais c’est vrai qu’à ma connaissance, on n’en discute pas vraiment. »

Des débats qui n’ont pas lieux, des tentatives de récupérations politiques, de la corruption, des scissions profondes niées par la hiérarchie… toute la maison est en feu : pas sûr que les mesures de Bernard Cazeneuve arrivent à juguler la colère.

* pour conserver l’anonymat, les prénoms ont été modifiés.

Nadia Sweeny

photo de Une/AFP

Raconter, analyser, avancer.

Comments (2)

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