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Samia Henni, architecte de l’Histoire des oppressions

 

Sa voix est charismatique. Des États-Unis, où elle a été nommée comme professeure à l’université de Cornell, cet été, Samia Henni, détaille son parcours débuté en Algérie avant de s’ancrer en Suisse.

D’ailleurs, son accent sent bon les trajectoires hybrides. Au fil de la conversation, cette polyglotte, navigue entre le français, l’italien, l’arabe. Mais, c’est en anglais qu’elle se sent le plus à l’aise. Cette expérience américaine est sans conteste une promotion.

« J’y enseigne l’histoire de l’architecture, le développement urbain et l’aménagement du territoire. »


Avec en toile de fond, une histoire de l’architecture au prisme de la colonisation et de l’esclavage.


Avant de rejoindre l’université américaine, Samia Henni, architecte, a présenté « Discreet Violence » dans un lieu culturel alternatif, en juillet dernier.

Assistant professor of architecture Samia Henni’s exhibition Discreet Violence: Architecture and the French War in Algeria. photo / provided


L’exposition itinérante passée par Zurich, Rotterdam ou Johannesburg n’a pas vraiment enthousiasmée les « autorités publiques qui l’ont toutes refusées », s’étonne la chercheure.

Le contenu s’inspire en partie de l’ouvrage de Samia Henni, Architecture of counterrevolution : The French army in northern Algeria, publié par le gta Verlag en 2017. Doublement primé au Festival international du livre d’art et du film de Perpignan, l’ouvrage devrait être traduit  en français, cette année


L’architecture, comme levier d’oppression

Une déconstruction méticuleusement scientifique de la notion d’architecture, dans sa dimension, non pas seulement du bâti mais aussi de l’humain et « des enjeux de pouvoirs », qu’elle sous-tend, explique-t-elle.

Samia Henni, éclaire l’histoire des oppressions, qu’elles soient raciales ou genrées, en s’appuyant sur l’architecture.


Henni, left, leads a discussion of her exhibition in John Hartell Gallery. William Staffeld / AAP



Les bateaux dits « négriers » dans lesquels les esclaves étaient transportés au cours du commerce transatlantique racontent beaucoup des enjeux politiques de la traite des Noirs.

« Ces corps entassés, organisés dans un espace très précis permettent de comprendre l’orchestration politique de ce commerce »,

souligne-t-elle.


Une approche peu connue du grand public mais qui permet, à bien des égards, de comprendre l’histoire des dominations, des exploitations, et des colonisations. Et à un certain niveau, celle des oppressions actuelles, pas ricochet, celle de l’auto-limitation, vestige de cette histoire traumatisante. D’aucuns s’y reconnaitront, ou pas.


L’Algérie comme point de départ

Née à Alger, Samia Henni mène ses études en Algérie. Après le bac, elle entame une première année d’architecture à l’Ecole polytechnique d’architecture et d’urbanisme (EPAU) à El Harrach.


En 1998, elle quitte son pays pour la Suisse. « Une académie d’architecture venait d’ouvrir ». L’Algérie sombre dans la guerre civile. Samia, elle, obtient une bourse de l’Academia di architettura di Mendrisio, Università della Svizzera Italiana. Un nouveau départ plutôt qu’une échappée. De ses 5 ans à l’Academia di architettura, Samia Henni se consacre très vite à l’architecture à travers la recherche.

Rotterdam ou Londres, Samia sillonne l’Europe avec ses compétences comme boussole. Ce parcours universitaire et professionnel débouche en 2016 sur une thèse de doctorat en histoire et théorie de l’architecture à l’Institut pour l’histoire et la théorie de l’architecture, Ecole polytechnique fédérale (ETH) de Zurich. « Ma thèse a été récompensée par la médaille de l’ETH », fait rare selon elle pour une femme pas blanche.

Avec une histoire coloniale et anticoloniale et postcoloniale particulière, le passé algérien est un formidable laboratoire pour la chercheure.

« Concernant la colonisation française en Algérie, il est intéressant de comprendre comment la construction architecturale a assis la ségrégation ».

 

Samia Henni

Prenons l’exemple de la Casbah. « Les autorités françaises coloniales l’a détruite en partie pour créer une ville européenne, c’était une façon d’instaurer une ségrégation planifiée », relève-t-elle.

A la croisée de « l’architecture, de l’organisation de l’espace et des enjeux de pouvoir, il est question, en plus de l’esthétique, de l’éthique, d’oppression et de domination », renchérit-elle.

Face aux étudiants internationaux, en Europe et maintenant aux États Unis, Samia Henni incite à la réflexion et à la critique.

« Comment, par exemple, les frontières ou les infrastructures déracinent ou déplacent certaines communautés mais aussi comment les espaces construits influent sur les comportements de leurs habitants ».



Samia Henni

Si l’on transpose ce travail à la dualité banlieue/Paris, la question de l’appropriation des centres villes par les populations en périphéries restent d’une étonnante actualité. « L’architecture de la domination et de la répression fait, par exemple, que certaines communautés ne se sentent pas les bienvenus dans certains quartiers », analyse-t-elle.  




Transposition parisienne


Au moment où l’édification du Grand Paris renvoient à des enjeux économiques, la dimension symbolique du projet saute aux yeux.


Historiquement, la structuration de la région Île-de-France mais surtout la modernisation de Paris par le baron Haussmann, à partir de 1860, a creusé le sillon d’une rupture entre la capitale et ses « provinces » immédiates.

A view of Henni’s exhibition in John Hartell Gallery. William Staffeld / AAP

« L’annexion haussmannienne » a, ainsi, dessinée une géographie arbitraire des communes avoisinantes au profit des quartiers centraux de Paris, créant une rupture.

« Le découpage du département de la Seine en quatre départements en 1964, l’émergence de Paris comme collectivité départementale autonome séparée des départements de la petite couronne et la construction du boulevard périphérique de 1956 à 1973 ont consommé cette rupture ».

 

 

L’espace comme lieu d’ostracisme, de séparation et donc de pouvoir

Justement que dit ce périphérique construit pendant « les événements d’Algérie » ? « Souvent assiégé et occupée », Paris et son architecture ne sont-ils pas uniquement, la transposition de cette architecture de pouvoir 


Une architecture du pouvoir fondé sur la ségrégation et que le périphérique, barrière artificielle et psychologique, entre Parisiens et banlieusards. Demandez donc aux gens de banlieue s’ils se sentent chez eux dans le 6e arrondissement ? Et ensuite, faites l’inverse.

Ségrégation, rejet, domination. L’architecture dans l’Algérie sous régime colonial français, reposent sur les mêmes ressorts. C’est tout le sens du travail produit par Samia Henni.


« Dans la rédaction de ma thèse, ce qui m’intéressait était de saisir les enjeux à la fois socio-économiques mais aussi psychologiques des politiques coloniales françaises menées en Algérie ».

Et d’ajouter, « certains les espaces détruits ou construits l’ont été pour contrôler la population algérienne et mener une guerre contre la révolution du peuple algérien ».

D’ailleurs, Samia Henni, l’explique clairement. « Dans les zones rurales, l’armée française a créée des zones interdites et a déplacé des milliers d’Algériens pour séparer les combattants pour la libération nationale de la population».

Avec une conséquence majeure, « ces populations ont été déplacées de manière arbitraire, déracinées même et placés dans des camps surveillés appelés « les centres de regroupement ».




Contrer la révolution

Et puis, dans son approche, Samia Henni tient à rappeler la continuité historique des choix politiques français.

« Il faut savoir que certains acteurs et politiques françaises du régime de Vichy ont continué occuper des fonctions après la Deuxième guerre mondiale, dans l’Algérie française ».


Même si cela déplaît, faut-il comprendre. Car ces stratégies de la contre-révolution s’inscrivent dans l’histoire de France et de son empire.

Etat d’urgence dans les Aurès et en Kabylie en 1955, répression à l’opération oiseau bleu en 1956…Le rapport au pouvoir, à l’architecture et la topographie, tels que présentés par Samia Henni, permet, ainsi, de corréler l’attitude des officiers français en Algérie à d’autres épisodes de l’Histoire.

Cette continuité des stratégies de guerre, de contrôle et d’oppression s’incarnent en la personne de Maurice Papon. Il est condamné en 1998 à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l’Humanité.

Alors secrétaire général de la préfecture de Gironde, il participe à l’arrestation, la séquestration et la déportation des Juifs de sa région, envoyés vers des camps de concentration.

Par la suite, Papon jouera un rôle important dans la répression de la Guerre d’Algérie. Préfet de police de Paris, dès 1958, il est impliqué dans la répression sanglante de la manifestation pacifiste du FLN à Paris le 17 octobre 1961 contre le régime colonial français. Suivra, également, celle des événements de Charonne, quand le 8 février 1962, le Parti communiste proteste contre l’OAS.


Continuité historique de l’oppression


Et puis, dans son approche, Samia Henni tient à rappeler la continuité historique des choix politiques français. « Vichy est la même France que l’Algérie française. C’est un fait ».


Même si cela déplaît, faut-il comprendre. Car ces stratégies de la contre-révolution s’inscrivent dans l’histoire de France. « Elle n’ont pas commencé en Algérie… »

État d’urgence dans les Aurès et en Kabylie en 1955, répression à l’opération oiseau bleu en 1956…Le rapport au pouvoir, à l’architecture et la topographie, tels que présentés par Samia Henni, permet, ainsi, de corréler l’attitude des officiers français en Algérie à d’autres épisodes de l’Histoire de France.

Cette continuité des stratégie de contrôle et d’oppression s’incarnent en la personne de Maurice Papon. Condamné en 1998 à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l’Humanité.



Alors secrétaire général de la préfecture de Gironde, il participe à l’arrestation, la séquestration et la déportation des Juifs de sa région, envoyés vers Auschwitz. Dans cette logistique de la mort associé au pouvoir, Papon se distinguera par la suite, au moment de la Guerre d’Algérie.


Préfet de Paris, dès 1958, il est impliqué dans la répression sanglante de la manifestation pacifiste du FLN à Paris. Suivra, également, celle des événements de Charonne, quand le 8 février 1962, le Parti communiste proteste contre l’OAS.


Savoir-faire français

C’est tout l’intérêt de l’ouvrage, mais aussi de l’exposition refusée par les institutions publiques, de Samia Henni.

Il permet de mieux cerner les différences facettes de la France mais aussi ses contradictions, préalable à toute travail de déconstruction et de reconnaissance de ses responsabilités. Un préalable pour avancer.  On ne bâtit rien sur les faux fuyants.

Preuve de ce savoir-faire, la Bataille d’Alger, reprenant ce célèbre épisode de la guerre d’Algérie, a autant inspiré les révolutionnaires du monde entier que les forces militaires, des Etats-Unis, par exemple.

En 2003, confrontés aux affres de la guérilla irakienne, les Etats-Unis mort la poussière, malgré la chute de Saddam Hussein.

L’œuvre de Gillo Pontecorvo est alors diffusée par le département de la Défense. L’état-major US est aux abois. Il veut comprendre comment une victoire militaire, à savoir le démantèlement du FLN, aboutit à la proclamation de l’indépendance algérienne.


Les participants conviés découvrent sur le carton d’invitation de la projection :


« Comment gagner une bataille contre le terrorisme et perdre la guerre idéologique ? Les enfants tirent sur les soldats à bout touchant, des femmes jettent des bombes dans les cafés. Bientôt, la population arabe dans son ensemble se rassemble dans une ferveur folle. Ça ne vous dit rien ? »



La Bataille d’Alger, qui provoqua l’ire de la délégation française à la Mostra de Venise en 1966, est désormais un classique pour les soldats américains. La guérilla urbaine n’est pas qu’une technique. Elle est aussi un lieu emblématique, la Casbah d’Alger.

Le travail de Samira Henni en atteste. L’architecture est la vision esthétique du pouvoir.

Entrepreneur des médias, Fondatrice de MeltingBook, Directrice de la publication et des Éditions MB.

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