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Jean-Riad Kechaou, prof tout-terrain


Jean-Riad Kechaou a deux passions : l’enseignement et les médias. Professeur d’Histoire-Géographie en Ile-de-France, il cumule avec une carrière de blogueur engagé.

Chez Politis, son blog marche plutôt bien. Au-delà du buzz, il apporte surtout des éclairages pour comprendre l’école de l’intérieur.

Etre prof en banlieue, pour Jean-Riad Kechaou c’est une vocation. Il enseigne l’Histoire-Géographie dans un collège de Chelles, en Seine-et-Marne. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il rafraîchit l’image du prof de banlieue, dépassé par des élèves « difficiles ».

Prof par choix

A 36 ans, JR, de son surnom, vit sa passion de l’enseignement au plus près du terrain. «  J’y enseigne depuis maintenant 11 ans « . Si la première année, il essuie les plâtres, JR «  a ensuite vécu un coup de foudre « .

Pour transformer l’essai et ne pas raccrocher, il saisit rapidement comment s’imposer. « Après une première année difficile, il fallait se créer une réputation. C’était un peu la bataille avec les élèves, bien les regarder dans les yeux, rester ferme « .

Des règles rigoureuses tant le métier est épuisant.  » J’ai travaillé à l’usine l’été pendant mes études. C’était dur mais à côté le collège très bruyant, c’est pire. Pour un jeune prof, les débuts sont très pénibles « . Une fois ces ajustements faits, JR touche du doigt le sens de l’enseignement.

Débarrasser des questions de discipline, il peut revenir à la base. Transmettre le savoir. Et puis, face à ses élèves, venus pour la plupart des Coudreaux, un quartier isolé et populaire de Chelles, il s’y retrouve forcément.

Originaire de Lyon, où il y est né, JR débarque à Paris à 24 ans. On est en 2003. Un avant, il a décroché son Capes. Lui qui connaît parfaitement Vaulx-en-Velin ou Décines, villes populaires de la banlieue lyonnaise, n’est pas trop dépaysé quand il prend son poste à Chelles.

D’autant que son année de titularisation, il l’a passe à Dunkerque (Nord-Pas-de-Calais-Picardie).  » Quand t’es jeune prof, on t’envoie dans les académies les moins attirantes « , souffle-t-il. L’apprenti prof est à Paris tous les week-end.

Le choc du 9-3

Son  » supplice  » s’achève en 2004 quand il est titularisé et envoyé à Chelles comme professeur. Entre temps, le jeune homme a découvert la région parisienne et la Seine-Saint-Denis, particulièrement.

« En 2000, quand j’ai vu les Bosquets (Montfermeil), le quartier d’où est originaire son épouse. J’ai pris une claque « , se souvient-il.

Un choc pour lui qui a pratiqué pourtant un quartier comme le Mas du taureau à Vaux-en-Velin, pas loin de Décines là où il a grandi. 

«  Pour l’anecdote, quand je me suis marié en 2003, notre cortège est passé aux Bosquets. Mes amis d’enfance ont halluciné. Jamais, ils n’auraient pensé voir pire que les cités lyonnaises… « 

Le journalisme dans la peau

Une réalité qu’il côtoie, désormais, au quotidien et qui a réveillé en lui ses premières amours, le journalisme. « Avant d’être professeur, j’ai été journaliste-pigiste pendant un an pour le Progrès de Lyon « .

A l’origine, JR se destinait au journalisme. « J’ai toujours rêvé de ce métier « . Mais la fameuse conseillère d’orientation passe par là.  » Comme tout le monde, j’ai été mal orienté ».

« Elle me parle des concours mais oublie de me parler des DUT… » plus accessibles. «  Personne pour te briefer sur ce métier «  du coup  » j’ai fait le CFPJ sans vraiment le préparer « , confie t-il, un peu amer.

 » L’article du New York Times est mal passé « , ironise t-il, en référence à l’épreuve d’anglais, souvent compliquée pour certains étudiants.

Qu’importe s’il ne parvient pas à entrer par la porte. Il entre par la fenêtre. Une méthode que bon nombre ont expérimentée. Son expérience au Progrès de Lyon prouve sa détermination. 

 » J’étais sous la tutelle d’un journaliste. On m’a envoyé au casse-pipe pour couvrir les quartiers populaires de Vaulx-en-Velin « , s’amuse t-il. Une séquence qui lui confirme sa passion mais qui lui montre l’envers du décor. «  J’étais trop mal payé « .

« A l’époque, c’était 150 francs l’article « , lâche t-il, dans un éclat de rire sardonique.  » Mais j’ai quand même fait de beaux articles engagés « , s’exclame t-il. Depuis, l’enseignement lui a été utile. Son statut de professeur en Seine-et-Marne lui a donné une crédibilité et une légitimité.

 » Après Charlie, j’ai écrit une tribune pour Politis. Le texte a cartonné, près de 10 000 vues « . Le media, réputé à gauche, lui propose alors d’héberger son blog dédié à l’éducation.

Un retour au journalisme pour ainsi dire. Une grande fierté aussi ! Depuis, il a écrit des textes, notamment sur les décrocheurs. Un sujet pour lequel il s’est beaucoup investi.  » Entre 2010 et 2012, j’ai été professeur à mi-temps pour me consacrer à un poste de coordonnateur d’un dispositif contre le décrochage scolaire. J’ai géré des collégiens exclus, sept établissements au total, sur  Chelles et ses environs.

Le dispositif venait d’être créé, c’était très chaud, la moitié des gamins suivis par la PJJ ou l’ASE. J’ai transmis le relais au bout de deux ans éreinté mais fier de l’avoir rendu pérenne « . Alors pouvoir «  raconter «  son expérience dans un média, c’est une forme de retour d’expériences.

Le journalisme à l’école

Une forme de consécration personnelle, aussi. D’autant qu’il n’a jamais abandonné les médias. Il s’est même arrangé pour faire venir le journalisme au collège. En septembre 2005, un mois avant les émeutes, il lance le «  Petit Corot » avec ses élèves. Une voiture qui brûle illustre le premier sujet du journal « . Prophétique…

Fier de ce projet, JR se félicite des cinq prix décernés par le Clemi dont celui du meilleur journal en 2011, 2014 et 2015. Comme une reconnaissance, l’académie de Créteil à laquelle son établissement est rattaché, lui propose de participer à l’élaboration d’un ouvrage pédagogique sur les études culturelles et sportives.

Il rédige un chapitre autour de l’animation d’un club journal.  » J’ai adoré le faire ! « . Justement, JR devrait poursuivre sur la voie de l’édition. Il a bouclé un essai consacré aux Bosquets. «  J’ai tenté de comprendre et d’expliquer comment un quartier devient un ghetto dangereux et répulsif « . Mais JR aime ce terrain dans lequel il évolue quotidiennement. Son ouvrage à paraître, c’est aussi une note d’espoir.  » De ce ghetto, je veux montrer qu’il y a aussi de la beauté « .

Nadia Henni-Moulaï

Photo de Une: ©Martin Ferrer

Entrepreneur des médias, Fondatrice de MeltingBook, Directrice de la publication et des Éditions MB.

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