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Regards toutes sur une icône imaginaire : la femme voilée

Quelles perceptions des femmes qui ne montrent pas leur chevelure ? Ce qui nous regarde interroge les représentations collectives des Français sur le « voile », pièce d’étoffe qui s’est muée de « fait » à « problème » de société.

À contre-courant des médias effrénés, Myriam Marzouki mêle archives, art contemporain, émotions, sens. Et bouscule, finement, les certitudes.

Plongée dans la pénombre, une salle comble. C’est le dernier jour de représentation au théâtre de l’Échangeur de Bagnolet avec la MC93. Levée de rideau sur Ce qui nous regarde, l’écran s’éclaire et la voix hors champs de l’auteure et metteure en scène, Myriam Marzouki ouvre la voie.

« Féministe et athée, je me sens malgré moi liée par des fils invisibles à ces corps de femmes qui se couvrent d’une manière ou d’une autre. » Délaissant volontairement l’adjectif « voilées », qu’elle qualifie d’ « anachronique ». Le ton est donné : doux et poétique.

Sur le rétroprojecteur, des photographies défilent. Les aïeules de l’artiste, côté ukrainien et tunisien, témoins de son identité hydride et assumée.

D’aucuns préjugeront l’œuvre, à la crainte d’y retrouver des débats stériles et des polémiques acides autour de la « question du voile ». Du déjà entendu dans les médias à encéphalogrammes plats. Que nenni. Ce qui nous regarde prend de l’altitude. Sa force ? Se détacher de l’affrontement manichéen voué à l’échec.

Cette pièce de théâtre documentaire ne parlera pas DU voile, mais DES voiles. Le foulard, du signifiant au signifié, est questionné et répond par sa multiplicité, sa diversité. Lui qui connote de multiples femmes, sans toujours les dénotées.

Sans s’attarder sur les photos de famille, une femme, vêtue de la tête au pied d’un vêtement noir et de gants de boxe rouge, investit les planches. Une femme dont on distingue le visage. Le regard déterminé. Donnant et encaissant des coups sur un ring imaginaire pour nous, mais, visiblement réel pour elle.

Cette entrée a été inspirée de la photo d’une artiste iranienne Newsha Tavakolian (cf. photo principale). Impossible pourtant de réduire cette scène inaugurale à une seule interprétation…comme l’ensemble du spectacle, a fortiori.

Pendant une heure et demi, se succèdent archives historiques, unes de la presse magazine française ou encore vraisemblables anecdotes fictives. Comme par exemple, celle de la maman dont la nounou, devenue une amie, à décider de couvrir ses cheveux. Et si elle l’avait connue voilée, l’aurait-elle engagée ?

Sans prendre parti, sans tomber dans les écueils, les points de vue adoptés se succèdent avec agilité au moyen de dialogues affûtés. De l’ordre de l’essai poétique, cette pièce subjective trouve ses textes dans le montage et l’écriture collective.

« Je leur parle de voile, ils me parlent de folklore, de couscous et de Guerre d’Algérie, » déplore le père bouleversé d’une adolescente tout juste converti à l’islam. Avant de s’adresser au public, « moi je suis son père, vous cela ne vous regarde pas. »

Boîte de Pandore de l’élite politico-médiatique

Plus tard, la voix de Myriam Marzouki reprend « la France a trouvé un problème à sa mesure. Et une fois de plus, la France étonna le monde… ». Il faut dire le « voile » occupe régulièrement le frénétique espace médiatique français et endosse toutes les crispations.

Jupes longues, pains au chocolat de Copé, double ration de frites dans les cantines de Sarkozy, mamans voilées et sorties scolaires, burka, viande halal, horaires décalés à la piscine, burkini, propos de Laurence Rossignol… Attentats, laïcité, identité, immigration, communautarisme, intégrisme… Élites politiques et médiatiques ont trouvé leur boîte de Pandore.

Depuis l’affaire de Creil en 1989, soit plus d’un quart de siècle, « le voile » est décliné sous tous les amalgames. Autour de l’islam et de ses symboles s’est construit un imaginaire dans la société française, menaçant le lien social, exaltant la division. À se demander si la deuxième religion de France n’est pas devenue l’obsession numéro une.

L’art au service du questionnement sur le réel

Ici, la troupe interroge les visions de l’objet-voile et tranche radicalement avec les conversations du café du commerce. Tous ces regards abordés se juxtaposent et prennent le temps de se déployer sur scène. Ces visions prennent le contrepied des stéréotypes tous azimuts.

Rires, suivis de silence dans la salle lorsque le comédien récite jusqu’à en perdre haleine un extrait de la première épître de Saint-Paul, sous fond de musique électro mixée en direct par l’artiste Rayess Bek. Le crescendo des sons rappelle la cacophonie des opinions.

« Tout homme qui prie ou prophétise la tête couverte fait affront à son chef. Mais toute femme qui prie ou prophétise tête nue fait affront à son chef ; car c’est exactement comme si elle était rasée.  Si la femme ne porte pas de voile, qu’elle se fasse tondre! Mais si c’est une honte pour une femme d’être tondue ou rasée, qu’elle porte un voile ! L’homme, lui, ne doit pas se voiler la tête : il est l’image et la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l’homme.  Car ce n’est pas l’homme qui a été tiré de la femme, mais la femme de l’homme,  Et l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme. Voilà pourquoi la femme doit porter sur la tête la marque de sa dépendance, à cause des anges. Pourtant, la femme est inséparable de l’homme et l’homme de la femme, devant le Seigneur. Car si la femme a été tirée de l’homme, l’homme naît de la femme et tout vient de Dieu. Jugez par vous-mêmes : est-il convenable qu’une femme prie Dieu sans être voilée ? La nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas qu’il est déshonorant pour l’homme de porter les cheveux longs ? Tandis que c’est une gloire pour la femme, car la chevelure lui a été donnée en guise de voile. Et si quelqu’un se plaît à contester, nous n’avons pas cette habitude et les églises de Dieu non plus. »

Pas de vision unilatérale

Variations de références et œuvres d’art contemporain oscillent pour surprendre le spectateur et l’inviter à prendre de la distance quant au prêt-à-penser qu’on lui sert sur les écrans. Que peut cacher la femme ? Que doit-elle montrer pour être considérée comme libre ?

Myriam Marzouki s’interroge sur les rapports ambigus entre visibilité féminine et liberté dans la société occidentale. Là encore, pas de vision unilatérale.

Tout comme lorsque la réalisatrice rappelle les campagnes de dévoilement public orchestrées durant la Guerre d’Algérie, entre autres, par les épouses des généraux Massu et Salan, en mai 1958.

Plus loin, une sélection d’images d’après-guerre pointant les failles d’un système capitaliste clivant et du pouvoir aliénant des élites sur les dominés, poussent le public à prendre le temps.

Le temps de replacer le présent, les faits actuels, les événements, la réflexion, au sein d’un ensemble plus grand : l’Histoire.

L’audace de Ce qui nous regarde secoue les carcans de pensée, floute les barrières et explore les différences humaines. Un je-ne-sais-quoi de complexité au sujet du « voile », qui n’a que trop été simplifié et instrumentalisé par les dominants de tous bords.

Sarah Hamdi

Pour aller plus loin :

Découvrez ci-dessous notre interview audio avec l’artiste Myriam Marzouki. Déroulez le menu des questions suivantes pour écouter ses réponses.

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Une tournée de « Ce qui nous regarde » est prévue pour 2018, mais les dates ne sont pas encore arrêtées. Myriam Marzouki prépare également son prochain spectacle, « Que viennent les barbares », pour 2019. Le thème: qui est perçu comme Français ?

Raconter, analyser, avancer.

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