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Au collège, le théâtre-forum comme arme contre la radicalisation violente


Qu’est-ce qu’être « radicalisé » ? Sensibiliser les collégiens aux mécanismes de basculement et prévenir la radicalisation menant à la violence. C’est l’objectif des ateliers d’expression citoyenne, ADEC, menés par Hasna Hussein, sociologue, spécialiste de la propagande djihadiste et fondatrice de l’association ARACDRV (Recherche- action contre le discours radical violent).

Conçus à partir de vrais témoignages de jeunes, dits repenti(e)s du djihad, ce projet de théâtre-forum sillonne le terrain pour toucher le maximum de jeunes. Melting Book a pu assister à une rencontre, au Collège Romain Rolland, de Sartrouville (78), lundi 25 mars 2019. Reportage sur cette initiative salutaire.


Nous allons travailler sur des parcours de vie, de jeunes, comme vous. On va découvrir ensemble, deux jeunes qui ont traversé des moments difficiles. On va parler des récits de Karim et d’Hélène, » introduit Hasna Hussein. Milieu d’après-midi pas comme les autres au collège Romain Rolland de Sartrouville.

Une vingtaine de collégiens se retrouvent dans la salle de projection pour échanger sur des témoignages de revenants du djihad. Le thème ? La « radicalisation », les réseaux sociaux, les jeux vidéo, la manipulation sur internet. Autant de sujets d’actualité, bouillants.

Ces ateliers constituent un outil de sensibilisation, d’analyse et de réflexion par le biais d’une approche ludique, collective, participative et constructive pour comprendre les mécanismes de basculement et réfléchir sur les facteurs de protection de la radicalisation menant à la violence.  


« Je ruminais tout cela, j’ai voulu en parler à l’imam. […] Alors je suis allé sur internet. Beaucoup pour écouter des Youtubeurs qui disaient la vérité. […] C’est comme avec les frères moudjahid. Quand ils parlaient, c’était simple, clair, et j’avais sensation que ça me parlait à moi. »


Le récit de Karim s’ouvre, interprété par un comédien au micro.


« […] J’étais comme tous les jeunes. GTA (ndlr : Grand Theft Auto), c’était mon univers et même si c’était violent, j’adorais ça. […] On jouait avec les nasheed (ndlr : ici chants djihadistes) en boucle. […] Pas de Kouffar,  pas de Toubab, rien que nous. »



Extrait du témoignage de Karim.



Karim a perdu son père, sa mère est infirmière est souvent absente. Le récit du jeune homme et de ses failles se poursuit. Jusqu’à sa rencontre avec un certain Ibrahim*, recruteur de Daesh, via les jeux vidéo. « On jouait et on parlait, on jouait et on faisait la prière. Surtout après le 13 Novembre. Même si j’étais horrifié par tous ces morts, je suis obligé de dire que pour nous c’était normal, » souligne-t-il.

« Je ruminais tout seul, j’ai voulu parler à l’imam. Je m’enfermais de plus en plus et ma mère, elle ne comprenait pas que je voulais comprendre. Chaque fois que je voulais poser une question, on me donnait un milliard d’affirmations, sans jamais répondre à ma question. J’avais des réponses claires avec les frères de Daesh. »


Ateliers d’expression, lundi 25 mars 2019. ©S.Hamdi


« Pourquoi on vous a dit de vous méfier de tout le monde ? »


Au cœur du basculement d’Hélène et Karim : leur isolement. Au fil de l’atelier, les jeunes interviennent librement et individuellement en prenant un « bâton de parole ». Les premières questions sont timides.


« Est-ce que vous avez vraiment vécu cette histoire ? »

Amira

Progressivement, les jeunes se laissent aller. Et les interrogations fusent.


« Ça ne vous inquiétait pas de savoir que ces gens-là tuaient ? »

Walid



« C’est quoi un kouffar ? »


A-t-on le droit d’être « radical » ? « Tant qu’il n’y a pas de violence, on a le droit d’être radical. C’est un problème quand la radicalisation devient violente », répond Hasna Hussein, comme pour balayer une idée reçue bien ancrée.


La sociologue ponctue les échanges en rebondissant sur les analyses des collégiens. Comment procèdent les groupes radicaux violents ?


« C’est quoi un kouffar ? » interroge la sociologue.  « Qui utilise souvent ce mot-là ? Ce terme a été repris par les groupes djihadistes pour dire « mécréant ». Pourtant, dans le Coran, ils sont aussi désignés par « les gens du Livre », ahl alkitâb. Il y a plusieurs appellations. Il n’y pas qu’un seul mot. Les termes dépendent de qui les définissent. Je peux utiliser un terme positif et négatif. Il y a une diversité de lecture, de lunettes pour voir le monde. »


« Revenons à la fragilité de Karim. Il n’a pas connu son père, sa mère est infirmière et souvent absente.  Il est en quête identitaire. Il n’a pas de repères. Il était accroc, addict, aux jeux vidéo. Il s’isolait dans sa chambre pour jouer. ‘Même si c’était violent j’adorais’, dit-il. Le monde du jeu est devenu presque la réalité pour lui. La violence est devenue normale, banalisée pour ce jeune embrigadé qui va traiter sa mère de ‘kouffar’ dans sa nouvelle vision binaire du monde. »



Hasna Hussein



Comment je me suis retrouvée enfermée dans ce truc : être radicalisée, moi ?


L’interprète d’Hélène prend le micro pour revenir sur le récit de cette adolescente radicalisée. Endeuillée, Hélène a brusquement perdu sa grand-mère à l’âge de 60 ans. »


« J’aimais bien à la messe avec ma grand-mère. […] J’ai grandi dans un quartier paisible de la banlieue parisienne. […] Comment je me suis retrouvée enfermée dans ce truc : être radicalisée, moi ? C’est quoi ce truc ? »



Extrait du témoignage d’Hélène.



Un soir en rentrant du lycée, Hélène se connecte « sur Facebook comme d’habitude ». « Je ne me sentais pas bien. Je pensais à ma grand-mère.  Je me revoie taper dans Facebook : « Patiente et sois douce ». Je suis tombée sur ce texte magnifique. Je me suis sentie toute de suite touchée par ces paroles. »


Hélène écrit un commentaire pour remercie l’autrice du message : « Oum Omar », une jeune femme qui a émigré en 2012 au Cham (Levant). Peu à peu, Hélène discute avec elle. Et découvre l’islam… du moins au début.

Progressivement, l’endoctrinement se met en place en ajoutant de vrais mensonges à de fausses vérités. Hélène se laisse embarquer dans une idéologie extrême et mortifère… pensant avoir trouvé « la vraie religion ». Hélène termine « mariée via WhatsApp » à un djihadiste et s’apprête à préparer son départ pour la Syrie.

« « Avec Oui Omar, j’ai redécouvert ce besoin spirituel sans me rendre compte. ». 


Arguments d’autorité, mensonges et manipulation


Les discours extrémistes « s’appuient sur des choses vraies mélangées à des fausses. En brouillant les pistes, les recruteurs de Daesh veulent donner une crédibilité et une légitimité à leurs propos.» explique H.Hussein. 

« Ce n’est pas moi qui le dit : c’est ‘Allāh (Dieu), c’est le prophète, des religieux. Il faut obéir sans réfléchir. C’est ce qu’on appelle des arguments d’autorité. On veut bloquer l’esprit critique de la personne pour qu’elle ne se doute pas de ce que l’on prépare. Il faut obéir sans réfléchir. »


« Les groupes extrémistes veulent rendre les réponses les plus simples possibles. Les plus binaires possibles. »


Pour influencer leurs cibles, les recruteurs de Daesh s’appuient sur un discours présenté comme « pieux »  pour gagner en légitimité.

Pendant les échanges, H.Hussein rebondit sur la remarque d’un collégien.


« Dans la manipulation affective, il faut créer un courant affectif avec la cible. L’objectif est de gagner de la confiance et de la crédibilité. Souvenez-vous : Hélène disait d’Oum Omar : ‘’Je passais de plus en plus de temps avec elle sur Facebook. Cela me réconfortait. Je me sentais bien surtout quand elle me parlait de Dieu’’. Un nouveau cercle qui a pris toute la place dans sa vie. Hélène la pensait « croyante » et « sincère ». »



Hasna Hussein, sociologue.



Stratagème utilisé par les groupes extrémistes djihadistes pour créer de la confiance et pour aller encore plus loin. Pour préparer la personne en face à tout accepter.


Crislain : « Pourquoi vous avez voulu faire comme GTA dans la vraie vie ? »

Karim : « Je cherchais un sens à ma vie. »

Crislain : « Vous étiez conscient de ce que vous faisiez ? »

Karim : « Aujourd’hui je me demande… »

Crislain : « Est-ce vous pensiez que vous faisiez le bien ? »

Karim : « Honnêtement, oui. Tout est relatif, qui sont les méchants ? Qu’est-ce que le bien ou le mal ? »



Et le rôle des réseaux sociaux ?


Pour certains jeunes présents, Hélène et Karim ont été « naïfs ». « Ils auraient dû vérifier ». Est-ce que cela aurait pu arriver sans Facebook ou GTA ? Il faut être prudent et méthodique.



« Ces histoires arrivent, cela peut arriver auprès de vous, dans votre famille, ne pas s’isoler, lire, chercher, vérifier, les livres, pour toutes questions on est là. Ça peut paraître clicher. L’embrigadement n’est pas que religieux. C’est arrivé, ça arrive et ça arrivera. « 



CPE du collège Romain Rolland, Sartrouville.


Des récits qui donnent à réfléchir pour ces jeunes ultra connectés. Sans tomber dans l’écueil de diaboliser internet et d’accuser l’outil, il s’agit surtout de rappeler les bonnes pratiques. H.Hussein et son équipe prennent le temps d’un brainstorming avec les jeunes présents : vérifier et recouper ses sources, demander à des adultes.

Et de rappeller qu’une dès meilleure manière de prévenir, c’est d’éviter la perte de lien social.  


Le projet ADEC s’adresse aux jeunes âgés de 11 à 28 ans en présence des professionnels de différents secteurs : éducateurs, psychologues, etc. Ce jour-là, les professionnels du collège, CPE, proviseur adjointe, et professionnels, etc.ont tous assisté à l’atelier. Ce projet est le fruit d’une collaboration entre l’ARACDRV et l’association de théâtre « Wor(l)ds…Cie » (93). 

Parmi les missions de l’association ARACDRV (Recherche- action contre le discours radical violent) : travailler l’esprit critique et l’éducation aux médias, apprendre à réagir, agir et interagir face à des situations de radicalisation. Outiller et professionnaliser les acteurs de terrain en charge de la jeunesse.

Ce projet est financé par la Préfecture (78) et la Caisse d’Allocations Familiales (CAF) des Yvelines sur le fond interministériel de lutte contre la délinquance et la radicalisation (FIPDR).

Rédactrice en chef de MeltingBook, formatrice éducation aux médias, digital & dangers du web

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