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« À quoi joue la police ? » par Jean-Riad Kechaou

Hier soir, les images de dizaines de lycéens, genoux à terre et mains sur la tête, ont déclenché moults réactions. Si le ministre de l’ Education nationale, Jean-Michel Blanquer, a rappelé le contexte de l’interpellation, la vidéo tournée à Mantes-la-Jolie (Yvelines) résonnent avec des précédents où la jeunesse des quartiers est régulièrement violentée par les forces de l’ordre. A relire ce texte de Jean-Riad Kechaou, enseignant et auteur d’un ouvrage 93370Les Bosquets, un ghetto français.

Hier soir, des policiers (ou gendarmes) anti-émeutes sont intervenus avec une violence inouïe dans le quartier des Bosquets à Montfermeil en Seine-Saint-Denis. Jean-Riad Kechaou, professeur d’Histoire-Géographie à Chelles (Seine-et-Marne) et auteur de 93370Les Bosquets, un ghetto français.

Ce matin, il a réussi un témoignage direct, celui d’Abdel*, sous le choc et blessé après un contrôle de police violent.

 

Le quartier comme de nombreux autres en Seine-Saint-Denis est sous tension. A Aulnay-sous-Bois la veille, comme pour éteindre par la force la colère légitime des habitants suite aux violences subies par Théo,  un hélicoptère survolait le quartier des 3000 et des policiers ont tiré à balles réelles.

Mardi soir, minuit,  quartier des Bosquets, Montfermeil, Seine-Saint-Denis. Suite à des lancements de feux et de jets de pierre par des jeunes, la police anti-émeute est à la recherche d’un groupe d’individus dans la cité.

Des policiers  descendent dans le sous-sol d’un petit immeuble où des jeunes adultes jouent tranquillement aux cartes. Plus âgés ils n’ont rien à voir avec les petits émeutiers.

Une vingtaine de policiers leur foncent littéralement dessus en criant, bouclier et matraque à la main. Les jeunes courent en direction de l’autre sortie du sous-sol mais se font attraper en montant les escaliers par un groupe qui les attendait.

Balayettes, coups de pieds dans la tête, coups de matraque, on les traîne par terre dans les escaliers. « Tout se passe tellement vite, j’ai jamais vu des flics aussi violents », déclare Abdel l’un des jeunes hommes victimes de ces violences.

S’en suit une scène invraisemblable décrite par Abdel : « On nous a allongés les uns à côté des autres, face contre le sol, dégueulasse presque boueux. Puis on nous a fouillés en nous palpant tout le corps, même les parties intimes ».

Ce n’est pas fini pour eux malheureusement. Ils doivent se taire et rester allongés les uns à côté des autres sans rechigner.

« Les flics nous insultent : Connard ! » « Fils de pute ! » « T’as compris maintenant ? »  Moi, J’ai pas voulu leur répondre. J’étais trop énervé. Un policier a mis sa matraque derrière ma tête pour que je dise comme tout le monde « J’ai compris » ce que j’ai dû finalement faire. » 

Un policier écrase ensuite l’une des mains d’Abdel qui contenait un billet de dix euros. « Ouvre ta main ! » lui dit le policier.  Abdel ne veut pas leur donner mais doit finalement l’ouvrir. Son bras lui fait mal.

L’humiliation se poursuit. « Ils ont pris ma sacoche et l’ont vidé par terre, objet après objet, comme pour m’énerver. Je ne réagis pas. On me  prend alors mon téléphone. L’agent supprime tout mon fichier photo en me regardant puis le jette délibérément face contre le sol pour l’abîmer ».

On demande alors à Abdel de se mettre à genoux les mains dans le dos face au mur. Les policiers crient tout en réalisant qu’ils n’ont pas eu à faire aux petits émeutiers.

Ils partent sans demander leur reste en prenant avec eux un seul jeune homme pour le mettre en garde à vue laissant Abdel et ses amis hagards et totalement choqués par cette humiliation qu’ils venaient de subir.

« J’ai eu de le droit à pas mal de contrôles violents, mais une telle hogra (injustice), jamais, c’était un véritable guet-apens ! » déclare Abdel dépité.

Le quartier des Bosquets ne serait pas le seul apparemment à avoir connu de telles scènes. On évoque des violences policières dans au moins deux quartiers.

Malheureusement, n’ayant aucune confiance dans la police, les victimes de ce contrôle violent refusent de déposer plainte et de faire constater par un médecin les preuves de celles-ci.

La première question que l’on doit légitimement se poser est la suivante :

Est-ce que ces policiers anti-émeutes ont obéi à des consignes de leur supérieur ?

Aulnay-sous-bois : la visite « surprise » de François Hollande à Théo, le 7 février 2017.

 

Si c’est le cas, cela remet en cause la venue du président lui-même au chevet de Théo et les poursuites judiciaires menées à l’encontre des policiers ayant violenté Théo.

Néanmoins, cela parait peu probable car ce n’est pas dans l’intérêt du gouvernement en place de mettre de l’huile sur le feu.

La seconde question qui découle d’une réponse négative à la première doit être posée.

Est-ce que des policiers aujourd’hui agissent en roue libre sachant pertinemment que leurs actes vont aggraver les tensions et déboucheront sur de nouvelles émeutes ?

Cette insécurité profiterait bien évidemment au Front national, le parti, faut-il le rappeler,  le plus apprécié aujourd’hui  chez les policiers et gendarmes français. Plus de 50% des policiers et militaires ont voté FN en 2015.

On se rappelle encore des événements d’octobre dernier et des manifestations non autorisées de policiers dont une s’était dirigée vers l’Elysée. On a découvert par la suite que l’un des organisateurs de ces agitations n’était même pas policier mais agent de sécurité chez Carrefour et proche du Front national

 

https://youtu.be/kR9GdtJuoUo

Nous sommes au début des vacances scolaires en région parisienne, comme en octobre 2005. Il y a de nombreux adolescents qui se baladent dans leurs quartiers, au pied de leurs immeubles, à défaut de partir en vacances.

Certains sont en colère, légitimement et le manifestent malheureusement violemment. Je ne le nie pas. Néanmoins, comment peut-il en être autrement face à une police aussi violente et une justice dans laquelle ils n’ont plus confiance.

Le préfet de Seine-Saint-Denis et le ministre de l’intérieur auraient tout intérêt à faire cesser rapidement ces violences policières pour éviter que l’on ne revive une nouvelle fois une révolte urbaine de la même ampleur que celle de 2005.

Car si on voulait que les banlieues prennent feu, on ne s’y prendrait pas autrement.

Jean-Riad Kechaou

Photo de Une: Gouné (Montfermeil,  octobre 2005).

*Le prénom a été changé.

 

Jean-Riad Kechaou est professeur depuis 15 ans en banlieue parisienne. Auteur d'un essai socio-historique sur le quartier des Bosquets « 93370 Les Bosquets, un ghetto français » (MeltingBook Editions). Il écrit pour MeltingBook et le site de Politis dans un blog intitulé "Un Prof sur le front".

Comments (2)

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    Leïla

    De toutes évidences ceci ne peut que mettre le feu aux poudres. À qui profite LE CRIME???
    Il faut réagir c’est insuportable. Pauvre abdel, mais qu’on les laisse tranquils!

  • Avatar

    bettahar

    C’est etrangement a la veille des elections que des dossiers sur les politiciens sint médiatisés, ainsi que les violences urbaines, donnant le bon role au mauvais…l’insecurité, l’islam…on ns parle tjrs de la meme chose…il ne savent meme pas ce que c’est, qu’insulter l’islam reviens a insulter aussi l’evangile et la thora..ce sont des sots, des incultes, des pompiers pyromanes qui se presentent en tant que sauveur de la securite et de l’economie alors qu’ils ne savent meme pas combien coute un pain au chocolat…voila a quoi nous en sommes réduits aujourd’hui

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