TOP

#Algérie, la fin de la légitimité révolutionnaire

Si l’unique manière de consolider la démocratie dans un pays donné est de procéder aux changements d’exécutifs par le biais d’élections dans le respect de la Constitution, en Algérie, ce rôle va, de toute vraisemblance, échoir à la rue.


Quoi qu’il en soit, l’acte II des manifestations, le 1er mars, contre le cinquième mandat que brigue, contre tout bon sens, le Président Abdelaziz Bouteflika qui fête- ce 2 mars- ses 82 ans, dans un état de santé très affaibli, aura été des plus réussis.

«Chorta ou chaâb, khawa khawa» (Police et peuple, frères, frères)

Slogan des manifestants

Ainsi, bien avant la fin de la prière du vendredi, plusieurs groupes de jeunes commençaient déjà à se rassembler sur la rue Didouche Mourad, à Alger-centre.

À l’inverse des manifestants plutôt joyeux en cette journée printanière, les policiers ramenés en force de plusieurs coins du pays affichaient, eux, une mine abattue pour ne pas dire renfrognée.

Et pour cause ! Depuis le 22 février, date à laquelle les Algériens se sont mis dans l’idée de battre le pavé pour dénoncer les manœuvres du pouvoir, les forces de l’ordre, mobilisées tous azimuts sont comme saisies par un doute, un doute existentiel.


Le peuple est en marche

D’ailleurs, les scènes de fraternisation entre manifestants et policiers n’ont fait que ponctuer, dés le début, la démonstration populaire. «Chorta ou chaâb, khawa khawa» (Police et peuple, frères, frères) scandent les jeunes en direction de ces autres jeunes du même âge en uniformes.

Les gestes de bonne volonté sont souvent le fait, par ailleurs, de la gent féminine qui, pour l’occasion, remettait des roses et des œillets aux policiers médusés.

Aux alentours de 14 h, la foule a commencé à se former à partir de la Grande Poste dans une ambiance bon enfant avant que des jets de gaz lacrymogènes ne viennent semer quelque peu la panique.

Mais les centaines de manifestants deviennent en quelques secondes des milliers. Les policiers en civil ou en uniforme sont, visiblement, impressionnés : le peuple est en marche.


Marcheurs VIP

Parmi les indignés par cet énième «mandat de la honte», on a pu apercevoir en bonne place plusieurs leaders de partis politiques de l’opposition dont certains, faut-il rappeler, ont fatigué, durant de longues années, les Algériens, avec leurs leçons sur les valeurs démocratiques alors qu’ils se sont rendus coupables, dans les coulisses, de piètres misères en se contentant de quelques miettes accordées par le pouvoir notamment à l’occasion des rendez-vous électoraux.

Pour Hichem, ces tribuns de l’éthique et ces parangons de vertu ne se seraient pas mieux comportés une fois portés au pouvoir.

«Ils se prétendent «démocrates» seulement quand ils sont dans l’opposition. Au fond, ce ne sont que des «notables» auxquels le pouvoir a bien voulu attribuer un rôle de fou du roi. Ce sont des adeptes, eux aussi, de la violence politique et du rapport de forces».

Hichem


Ainsi, beaucoup soupçonnent ces marcheurs VIP de vouloir surfer sur la vague de la contestation, une déferlante populaire s’il en est. Ceci dit, il n’est pas certain que ces derniers puissent rejoindre aussi facilement l’alliance hétéroclite créé autour du mécontentement contre le cinquième mandat de Bouteflika.

On a même vu, et c’est une première, Issaad Rebrab, l’homme le plus riche du pays se joindre à la populace. S’estimant victime de blocages administratifs, le patron de Cevital serait donc lésé, lui aussi, par cette vision du capitalisme, qu’on ferait mieux d’appeler en Algérie «copinage».

Cortèges à Oran ©Mohamed Khadraoui

Une chose est sûre, il vient de se démarquer, de manière remarquable du pouvoir de Bouteflika et consorts.

Mais, incontestablement, la vedette de la manif de cet acte II était Djamila Bouhired, l’héroïne de la bataille d’Alger gratifiée sur son passage Place Maurice Audin par de nombreux youyous et escortée par un service d’ordre spécial.

Djamila Bouhired Présidente ? Sans fraude, elle serait élue haut la main !


La corruption au cœur de la protestation

De l’autre côté, certains dignitaires qui constituent, désormais, une bourgeoisie d’Etat en Algérie, en ont eu pour leurs grades.

«Ouyahia Sarraq» (Ouyahia voleur), «Sellal bahloul» (Sellal, débile mental).

Les jeunes semblent avoir définitivement perdu confiance dans les institutions politiques du pays accusées d’égoïsme et de corruption :

«Ils sont nombreux les dirigeants à s’être enrichis par le vol en pillant les ressources du pays. Chez eux, l’incompétence est un métier et la corruption, une chose naturelle. A cause de leurs petites personnes, l’Algérie a aujourd’hui, les bras cassés» nous explique Hafida, une quinquagénaire, les cheveux dans le vent.

«L’Algérie ne produit plus rien. Son PIB est parmi les plus bas au monde. Si l’on additionne la somme des valeurs ajoutées (hors hydrocarbures), on s’aperçoit que nous sommes l’un des pays qui produit le moins de richesses au monde. Donc le plus pauvre. Ce qui est honteux pour un pays aussi jeune !»

Hafida

Pourtant, des bras valides, des jeunes plein de vitalité qui peuvent devenir très vite des acteurs du développement, on en voit, aujourd’hui, partout.

Quel gâchis ! Au lieu d’offrir de réelles perspectives d’emplois aux jeunes à travers notamment une économie productive, les dirigeants du pays sont allés jusqu’à criminaliser les Harragas c’est-à-dire tous ces jeunes désespérés qui viendraient à vouloir échapper à la misère qu’ils leur imposent.

Ce qui est tout de même, un comble !


Fin de la légitimité révolutionnaire

En empruntant le Boulevard Mohamed V, la foule est alors rejointe par des grappes de manifestants accourus du Boulevard Telémly pour former une longue colonne, une véritable marée humaine avec pour seul mot d’ordre «El Casa del Mouradia» à savoir, direction le siège de la Présidence de la République situé sur les hauteurs d’Alger.

Au niveau du Palais du peuple, les manifestants sont repoussés par des dizaines de policiers anti-émeute bien équipés et par des jets de gaz lacrymogènes.

Cortèges à Oran ©Mohamed Khadraoui

Mais rien n’y fait, la détermination des protestataires va vite balayer l’imposant cordon sécuritaire qui, dès lors, va se déplacer un peu plus haut vers l’hôtel Saint Georges.

S’étant mis de côté, les policiers forment presque une haie d’honneur à la gloire de la foule en colère.

Les renforts de policiers, toujours plus nombreux bloquent, de nouveau, les manifestants. Une occasion pour discuter avec notre ami Salim, une vieille connaissance perdue de vue depuis au moins dix ans, une rencontre improbable et non moins rafraîchissante. Il tranche, non sans amertume :

« Ce qu’on reproche surtout à Bouteflika, c’est son narcissisme immonde. Ce monsieur a une responsabilité politique, sans équivalent. Il a rompu avec l’Etat algérien tel que voulu par ses pères fondateurs. Il est devenu l’allié impuissant de puissances hégémoniques. Quand il était lucide, il n’avait d’yeux et d’oreilles que pour les plus forts. Seule l’oligarchie mondiale comptait à ses yeux et devant laquelle les Algériens devaient tous se mettre à plat ventre. A l’heure même où je vous parle, il se fait soigner dans une clinique étrangère alors que nos hôpitaux sont devenus de véritables mouroirs».

Salim


Vers 18 h, le face à face avec la police prend fin et les manifestants commencent à se disperser dans le calme. La circulation automobile se rétablit peu à peu.

Et puis sans injonction aucune, quelques jeunes munis de grands sacs en plastique verts se mettent dans un élan spontané et dévoué à nettoyer les rues de la Capitale, un véritable don de soi. Oui, ce peuple a du bon !

Mohamed Cherif Lachichi, correspondant à Alger


Photo de Une : Cortèges à Oran ©Mohamed Khadraoui

À LIRE AUSSI :

Mohamed-Chérif Lachichi, journaliste, a exercé tout d’abord dans le secteur public économique pour entamer, dès les années 1990, une carrière de grand reporter dans la presse écrite algérienne. Il publie le roman "La Faille" (2018, Ed. L'Harmattan).

Comments (3)

  • Avatar

    Hayet

    Tout est dit bravo à MCL une plume authentique et riche

  • Avatar

    BOUTESFIRA Chawki

    Je n’ai rien à ajouter. Ni à commenter. Tu as déroulé le film des événements et l’analyse critique les accompagnant. J’espère que les dirigeants prendront acte de ce que tu as relaté. Qu’ils en tirent les enseignements, pour ne pas dire les leçons. Au fond, ça m’étonnerait. Ils ont toujours été de mauvais élèves. Merci Mohamed Chérif.

  • Avatar

    Serge GONNELLAZ

    Merci pour cet éclairage.

Post a Comment

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.