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Banlieues. « Il faut soutenir un récit médiatique équilibré et plus complexe »

#TRIBUNE

Après la prise de parole d’Emmanuel Macron sur les « banlieues », que restera-t-il du « plan Borloo » ? Rémi Engrand Directeur de cabinet et de la communication Ville de Chanteloup-les-Vignes et Driss Ettazaoui, vice-président de Ville & Banlieue, ont participé à la commission Médias & Images des quartiers. Ils proposent des solutions concrètes pour pallier les effets néfastes du discours médiatique dominant. 

 

Les 19 programmes de Jean Louis Borloo pour la politique de la ville constituent un plan de réconciliation nationale. Rien d’innocent donc à ce que, dès les premières pages, l’ancien ministre de la Ville, s’emploie en premier lieu à battre en brèche les idées reçues qui circulent communément sur nos territoires. De notre point de vue, son plan de bataille vise non seulement à réduire les déséquilibres sociaux, urbains et économiques, mais plus encore, à changer le regard que nos concitoyens portent sur les 1500 quartiers prioritaires de France.

D’autant que nos territoires fascinent autant qu’ils interrogent. Ils déchaînent les passions de gauche comme de droite. Ils apparaissent pour certains comme des zones de non-droit où la République n’a plus droit de cité alors que pour d’autres, ils préfigurent positivement la France de demain. Le grand public les perçoit souvent de manière déformée : hyper échec contre hyper réussite, dealer contre footballeur, taulard contre star du rap, Amedy Coulibaly contre Omar Sy…

 

« Le discours médiatique dominant favorise en effet une représentation schizophrénique de nos territoires »

 

« La banlieue est un piège à fantasmes » affirmait récemment la journaliste Ariane Chemin. Or, ce piège se renferme souvent sur ses habitants. Stéréotypes, assignations, représentations… la fiction dépasse souvent la réalité. « La vérité sur les banlieues » ? « Islamisation, délinquance, trafics » répond le Figaro. Un attentat est perpétré ? Les quartiers prioritaires sont alors soupçonnés d’être des « foyers de terroristes ».

Les clichés et les assignations reviennent en force, révélant une partie infinitésimale de la réalité et laissant dans l’oubli 95% du quotidien ordinaire de celles et ceux qui vivent dans les « cités ». Ceux qui ne demandent rien sinon le droit à la normalité.

Le discours médiatique dominant favorise en effet une représentation schizophrénique de nos territoires, systématiquement enfermés. Or, ces deux visions ne racontent qu’une partie infime de notre réalité ordinaire mais dont le retentissement médiatique est très largement amplifié.

 

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À Grigny, à Roubaix, à Mulhouse ou à Vaulx-en-Velin, les affrontements avec la police et les trafics sont commis par à peine 2% de la population. Ils sont également une poignée à avoir réussi de manière fulgurante dans le sport, le show-business ou le monde de l’entreprise. Même si nous voyons bien que l’extraordinaire prime souvent sur l’ordinaire, que le sensationnel pèse plus que l’essentiel et qu’une vision simple des choses impactera toujours plus qu’une analyse complexe. Nous voulons rééquilibrer la balance médiatique en faveur des 98% d’habitants qui s’activent sur nos territoires.

 

Mettre en lumière les talents, ancrer le métier sur le terrain & construire une information fiable

 

Les récentes études menées par le CREDOC et le CGET viennent souligner sans complaisance à quel point la perception des quartiers est dégradée. À qui la faute ? Bien souvent, il est d’usage et d’autant plus aisé de pointer du doigt les écarts de déontologie de certains médias dans le traitement de l’actualité des banlieues. La recherche du sensationnalisme, de la course à l’audience, à la prime à l’audimat, dans un environnement concurrentiel, est une réalité…

Oui, il est probablement dans cette profession comme dans bien d’autres ailleurs, des âmes sans scrupules. Mais ces derniers ont le dos bien trop large et l’explication ne peut et ne doit se réduire à cela. Aussi, et fort de ce postulat, il nous est apparu utile de réfléchir aux enjeux susceptibles de mettre en lumière les talents et les énergies tel que la création d’un annuaire des « experts » à la disposition des rédactions afin d’ancrer le métier sur le terrain et construire ainsi une information fiable.

Le soutien a la production d’un récit équilibré, plus riche et plus complexe que ce qu’il nous est donné à voir ou à lire avec la création d’un fond partenarial de soutien des initiatives journalistiques indépendantes ayant vocation à raconter nos quartiers avec une juste représentation.

 

Se prémunir contre la maltraitance médiatique

 

Mais aussi et surtout se prémunir contre la maltraitance médiatique  en mobilisant le Défenseur des Droits sur le fondement du critère de discrimination ou encore par la création d’un conseil de presse. Enfin, il s’agit d’accompagner et faciliter la diffusion des contenus des médias de proximité comme des journalistes indépendants en mobilisant le fond de soutien en direction des associations des quartiers de la politique de la ville …

Gardons à l’esprit qu’il ne s’agit aucunement de vouloir inventer une réalité fantasmée de la vie de nos quartiers car ces derniers ne verront leur image changer que lorsque sociologiquement ils changeront, quand leur taux de chômage ne sera plus trois fois supérieur à la moyenne nationale ou quand les résultats scolaires ne seront plus aussi faibles.

Ce n’est pas faire œuvre utile que penser cela  mais bien faire corps dans la nation. C’est cela que nous devons, ainsi que le Président de la République dans son allocution, garder à l’esprit.

 

Rémi ENGRAND Directeur de cabinet et de la communication Ville de Chanteloup-les-Vignes
Driss ETTAZAOUI, Vice-président de Ville & Banlieue

 

Raconter, analyser, avancer.

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