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Édito. Non, convoquer des journalistes à la DGSI n’a rien de « normal »


[#Édito]

Ça sent le souffre dans les rédactions. Et ce, depuis un moment. Quand les renseignements interrogent les journalistes : ce n’est pas « normal », comme l’a affirmé la porte-parole du gouvernement. Targuant que les « journalistes sont des justiciables comme les autres ». 

Élément de langage oblige, le gouvernement affirme, comme une sentence irrévocable, que, oui, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) peut interroger des journalistes comme bon lui semble. Et pourquoi pas, pendant qu’on y est, leur demander de révéler leurs sources… 



Mais ça l’Institution le sait déjà. Elle n’est pas sans ignorer la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :

« Le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public. […]
Est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources au sens du troisième alinéa le fait de chercher à découvrir les sources d’un journaliste au moyen d’investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources. »

Extrait de l’Article 2 – Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.


Faire pression sur les journalistes et intimider leurs sources

Cela n’a rien de « normal » de se faire convoquer par la DGSI parce qu’on a enquêté sur Alexandre Benalla ou encore sur la vente d’armes française à l’Arabie Saoudite. Pourquoi ?

Tout simplement car : « La liberté de la presse n’a pas de prix : sans elle, c’est la dictature. » Ces mots, ce sont ceux d’Emmanuel Macron, président de la République.




Alors, pourquoi donc bafouer la liberté de la presse en convoquant plusieurs des acteurs de cette liberté à la Direction générale de la sécurité intérieure… 

Mystère. Ah non, non aucun mystère en réalité. Simple tentative d’intimidation. Faire pression sur les journalistes, et par extension sur leurs sources. 

Le paysage médiatique français actuel est gangréné. Gangréné par des communiquants, animés par des intérêts personnels, véritables sbires du pouvoir, relayant à qui veut bien les étendre leurs couleuvres. 



Les affaires ne tombent pas du ciel

Mais au-delà de cette minorité qui fait honte à la profession, de vrais professionnels de l’information mènent en toute indépendance et, bien souvent dans l’ombre la plus totale, un travail d’investigation, d’enquête et de qualité. 

Les affaires ne tombent pas du ciel. Derrière chaque info, une source. Un « Deep Throat » qui parfois par intégrité, parfois par vengeance, donne aux journalistes, les fils à tirer pour enquêter. Un message fort leur est envoyé via ces convocations : « se taire ou …? ».

D’aucuns jouent les vierges effarouchées et semblent découvrir les atteintes au droit à l’information, pourtant de plus en plus prégnantes. Rappelons par exemple, le passage de la loi Fake news, comme une lettre à la poste… Ou encore celle sur le « secret des affaires ».


C’est le cas aujourd’hui d’Ariane Chemin, qui avait publié le premier du feuilleton «Benella ». 

Affaire qui a mis en lumière, dans les plus hautes sphères du pouvoir, une partie immergée de l’iceberg. Et quel iceberg !


C’est l’histoire d’un « chargé de mission », usurpant la fonction de policier, interpellé et violenté un couple de personnes qui avait lancé des projectiles sur des CRS lors d’une des manifestations du 1er mai 2018 à Paris. 


S’en suit l’affaire des passeports, révélée par Mediapart. Révélation d’un Alexandre Benalla toujours en possession de plusieurs passeports diplomatiques… qu’il aurait dû rendre il y a des mois. 


Puis celle des contrats russes, impliquant le duo A.Benalla-Vincent Crase, des oligarques russes dont l’homme d’affaires Iskandar Makhmudov, « homme d’affaire » soupçonne en parallèle Iskander Makhmudov d’être membre depuis presque 30 ans d’un des plus anciens et des plus dangereux groupes criminels du pays…



Alors, pourquoi nourrir tant de suspicions à l’égard de des journalistes ? 


Alors la DGSI voudrait-elle protéger ces journalistes ? Eh bien, surprenant mais il semblerait que ce ne soit pas l’objet du rendez-vous. 

Le Monde note dans un éditorial :


« cette enquête vise nos articles sur les affaires d’Alexandre Benalla, notamment nos informations sur le profil d’un sous-officier de l’armée de l’air, Chokri Wakrim, compagnon de l’ex-cheffe de la sécurité de Matignon, Marie-Elodie Poitout. […] Cette convocation, sous le statut d’une audition libre, est d’autant plus préoccupante qu’elle suit une procédure similaire, utilisée très récemment à l’encontre d’autres journalistes à l’origine de révélations d’intérêt public sur l’utilisation d’armes françaises au Yémen. »



Le Monde



Après Ariane Chemin, le président du directoire du journal Le Monde, Louis Dreyfus, est également convoqué le 29 mai par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).


En effet, il semblerait que les convocations soient en vogue en ce moment… Alors pourquoi nourrir tant de suspicions à l’égard de ses journalistes ? Ne dit-on pas que celui qui n’a rien à se reprocher n’a rien à craindre ? La réciproque est vraie.

Nous apportons notre soutien à nos confrères, à ceux qui travaillent au service des faits, dans le respect de la déontologie et dans l’intérêt public. Aucune pression n’est acceptée ou acceptable. Et encore moins « normale »…

Rédactrice en chef de MeltingBook, formatrice éducation aux médias, digital & dangers du web

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