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Un vent mauvais souffle sur l’information


À bien y regarder, cela ne commençait pas très bien entre Emmanuel Macron et l’indépendance des journalistes. Durant toute la campagne Présidentielle, il n’aura de cesse de multiplier critiques et leçons à l’égard de ces derniers. Une fois élu, la surprise devait venir de l’annonce par son parti de la création de son propre média.


Puis ce sera l’annonce surprenante d’une nouvelle loi sur les « fake news »… et nous en sommes à la multiplication des perquisitions, mises en garde à vue, convocation de journalistes par la DGSI, à l’encontre de journalistes ou de rédactions.

Comme si en matière d’information, la politique de l’exécutif se situait désormais prioritairement entre intimidation et encadrement du travail de ceux à qui il revient en démocratie de servir l’intérêt général.



Intimidation :

Comment ne pas voir l’expression d’une volonté d’intimidation dans la multiplication des actions policières ou judiciaires à l’encontre des journalistes et des médias d’information, avec une insistance marquée à l’égard de l’investigation : en février dernier Médiapart faisait ainsi l’objet d’une perquisition, puis c’est au tour de cette pluie de convocations (huit déjà) devant la DGSI de journalistes de France Inter, Disclose, Quotidien, et maintenant du Monde.

Ceux qui entendent témoigner lors des manifestations de Gilets jaunes connaissent quant à eux les matraques, tirs de différentes munitions, voire le bris de matériel, jusqu’à la mise en garde à vue, comme Gaspard Glanz, sans que jamais le ministre de tutelle et encore moins la Place Bauveau ne trouvent à y redire.


Rappelons que David Dufresne ne décompte pas moins de 105 signalements de violences à l’égard de journalistes et photoreporters.



Voire plus…

Voire plus, puisque Gaspard Glanz devra comparaître devant un tribunal, avec cette vieille ruse policière de « l’outrage ». Voire plus puisque la DGSI entreprend de distinguer entre « vrais » et « faux » journalistes, à propos du collectif d’investigation de Disclose, ne garantissant plus la protection du texte sur le secret des sources pour ces derniers.

Sauf que la paresse ou la mauvaise volonté de la précédente législature laisse derrière elle un texte sur le secret des sources, dans lequel les exceptions à la protection peuvent donner cours à toutes les interprétations possibles pour d’éventuelles poursuites.

Comment un pays qui prétend apporter sa contribution à la question de la protection des lanceurs d’alertes peut-il laisser sa police faire le tri entre journalistes.

Sur quelle base ? Celle de la carte de presse et de la loi sur le statut des journalistes de 1935, qui ne fixe aucun standard de formation, aucune règle ayant trait à la déontologie, qui voulait que la profession reste ouverte ?

Avec comme essentiel critère l’emploi par une entreprise de média, alors que les zones grises de la profession (cf. Baromètre social des Assises internationale du journalisme 2018) ne cessent de s’étendre à coups d’emplois précaires rémunérés sous des formes diverses ne donnant pas droit à ladite carte de presse.



Encadrement :

Outre l’intimidation, le pouvoir fait montre d’une certaine insistance dans le registre de l’encadrement du travail des journalistes.

Ce fut la loi sur les fake news ou infox qui fit semblant d’ignorer les textes existants sur les fausses nouvelles et qui charge le juge d’évaluer – avec quels moyens ? – si des faits sont avérés… certes en périodes électorales, en visant prétend-on les plateformes, sauf que personne n’empêchera de poursuivre un média sur la base de ce texte.

Plus surprenante fut encore cette incursion du gouvernement dans le domaine de la « déontologie des journalistes » et d’une instance qui pourrait intervenir dans ce domaine.

Telle fut la mission confiée par le ministre de la Culture à Emmanuel Hoog, fournissant l’occasion à Jean-Luc Mélenchon de se réjouir, de voir poindre la perspective d’un « tribunal professionnel de la presse ».


Comment ne pas faire peser une suspicion sur une éventuelle initiative de la profession sur lequel va peser désormais, ce vieux fantasme tant de fois répété par diverses commissions, à commencer par la « Commission parlementaire sur l’affaire d’Outreau », de voir chapeauter l’information par une instance de sanction.


Et puis se surajoutent tous ces textes aux objets divers (lutte contre le terrorisme, droits et obligation des fonctionnaires, etc.) de la législature actuelle ou des précédentes qui convergent à un moment ou un autre pour resserrer la marge de manœuvre du journaliste qui enquête ou qui rapporte, comme le souligne à maintes reprises le spécialiste du droit de la presse Emmanuel Derieux (cf. Droit des médias, LGDJ).



Ligne jaune :

En quelques mois poursuite après poursuite, déclarations après déclarations, dérapages dans la rue après dérapages, une ligne jaune est franchie qui fait entrer l’information et les professionnels qui la produisent dans une zone d’incertitude.

Le pouvoir et une partie des politiques, pensent que le moment est favorable à cette remise au pas des enquêteurs et reporters, tant la défiance est grande à l’égard des médias, comme le rappelle chaque année le Baromètre de La Croix, comme le soulignent aussi paradoxalement les violences à l’égard des journalistes de la part des mouvements sociaux, à l’image des Gilets jaunes.


Un sursaut semble se faire jour face aux dernières poursuites en date. Il risque d’être éphémère et une réflexion est urgente qui dessine des réponses adaptées à la défense, non simplement d’une profession, mais bien d’un pilier essentiel de la démocratie, qui ne saurait exister sans contre-pouvoir.


Mandat donné à RSF bien sûr, urgence d’initiatives unitaires des syndicats et organisations professionnelles de la presse et au-delà des citoyens conscients de l’ampleur de l’enjeu.


Publié sur l’Observatoire des médias.com

Jean-Marie Charon est sociologue, spécialisé dans l'étude des médias et du journalisme. Il est ingénieur d'études au CNRS, rattaché au Centre d'étude des mouvements sociaux (EHESS).

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