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#ligueduLOL « Le cyberharcèlement concerne tous les corps de métiers »

Sur Twitter, un groupe de journalistes sont accusés d’avoir harcelé des abonnés du réseaux social, notamment des femmes. Un cyberharcèlement ciblé. Explications avec Laure Salmona, co-fondatrice de Féministes contre le cyberharcèlement.

 

Depuis #MeToo et #BalanceTonPorc, l’on découvre la réalité du harcèlement subi par les femmes. Y a t-il une spécialité de l’affaire #ligueduLOL ?

 

Laure Salmona

Laure Salmona : Je pense que la spécificité c’est qu’avec cette affaire, on découvre que ces violences exercées contre des femmes, mais aussi contre des personnes LGBTQIA+ et des personnes racisées, sont avant tout des luttes de pouvoir, et qu’il est plus aisé d’en faire une lecture au prisme des rapports de domination, en pointant qu’il s’agit d’un phénomène d’entraide au sein d’une classe d’hommes blancs et aisés visant à alimenter et maintenir des structures de pouvoir pour conserver leurs privilèges de genre, de race et de classe, que ça ne l’était lors de la vague #MeToo, où la tendance à la confusion entre violences et sexualité, pouvait brouiller les pistes.

 

Les piques, les blagues et les propos racistes, misogynes, grossophobes, transphobes, homophobes, etc. on en entend tous les jours au travail, en famille, dans la rue, mais les paroles s’envolent et les écrits restent.

 

Laure Salmona

On découvre aussi peu à peu que tous les corps de métiers sont concernés et que des harceleurs qui ont pu tenir des propos extrêmement sexistes, racistes, LGBTQIA+phobes, grossophobes, etc. n’ont pas hésité à organiser par la suite leur impunité en écrivant des articles sur le féminisme, le mépris de classe, ou en répondant à des interviews sur les discours de haine sur internet ou signant des pétitions en soutien à Nadia Daam lorsqu’elle subissait une vague cyberharcèlement initiée par le 18-25.

Ce sont des stratégies courantes, mais le fait que les victimes soient des journalistes permet aussi que tout cela éclate plus facilement au grand jour avec des enquêtes et de nombreux articles.

Les réseaux sociaux, dont Twitter, permettent la levée d’une forme d’impunité mais en même temps, ils « facilitent » le harcèlement. Faut-il y rester ou trouver d’autres espaces de discussion plus sains ?

 

L.S. : C’est un peu un cliché à déconstruire, les réseaux sociaux ne facilitent pas forcément le harcèlement, ils le rendent en revanche plus visible, en laissant des traces écrites.

Les piques, les blagues et les propos racistes, misogynes, grossophobes, transphobes, homophobes, etc. on en entend tous les jours au travail, en famille, dans la rue, mais les paroles s’envolent et les écrits restent.

Après on peut bien sûr s’attarder sur la question de la dématérialisation de la relation qui permet de considérer plus facilement l’autre en objet et non en être humain, mais l’adhésion à des idéologies sexistes, racistes, classistes, etc. le permet encore plus. Internet n’est pas un espace « à part », ce n’est rien d’autre qu’un reflet de la société : toutes les structures de dominations qui y existent, on les retrouve à l’identique sur le web.

Diaboliser Internet est une erreur, c’est contre les systèmes de domination et les inégalités qu’il faut lutter.

Et d’ailleurs les réseaux sociaux permettent à d’autres voix de se faire entendre et de venir contrer les discours dominants, il faut encourager cela, et lutter contre la silenciation et l’autocensure qu’entraîne le cyberharcèlement des groupes minorés.

 

#MeToo a été lancé par Tarana Burke, militante afro-américaine, mais totalement passé sous silence avant que le mouvement soit porté par des femmes blanches. Certaines femmes issues des minorités ethniques ont réagi à la ligue du LOL : pour elles, « rien de nouveau sous le soleil ». Qu’en pensez-vous ?

 

L.S. : En effet, la militante afroféministe Tarana Burke a lancé le mouvement MeToo en 2007, soit 10 ans avant qu’il soit repris par des actrices blanches et connaisse l’essor que l’on sait.

Une certaine frange du féminisme a tendance à penser l’expérience des femmes uniquement en termes de domination masculine, mais le vécu des femmes est multiple et elles peuvent subir de nombreuses autres oppressions que le sexisme : racisme, lesbophobie, transphobie, handiphobie, grossophobie, etc.

Ces oppressions ne s’accumulent pas simplement, elles créent de nouvelles formes d’oppression — Kimberly Crenshaw, à l’origine du concept d’intersectionnalité, l’a très bien analysé. Plus on est opprimé·e et plus il est important de créer des espaces de résistance et d’entraide pour survivre… or je pense que si certaines femmes blanches, hétérosexuelles, cis et aisées ont pendant un temps pu penser, grâce aux droits qu’elles ont pu obtenir, que l’égalité était atteinte dans les faits, les femmes racisées n’ont jamais été dupes et ont toujours eu douloureusement conscience qu’il fallait qu’elles ébranlent ces mécanismes de domination.

Dans nos sociétés où le pouvoir masculin oppressif prédomine, comment créer des espaces virtuels sereins pour les femmes ?

 

L.S. : Il est difficile de créer des espaces vraiment « safe », les oppressions systémiques sont multiples et même les espaces non-mixtes peuvent être le théâtre de nombreux rapports de domination : la sphère militante féministe n’est pas exempte de nombreuses violences.

Je pense qu’il faut rester bienveillantes les unes avec les autres et faire front contre la domination masculine avec des espaces d’entraide et de soutien virtuels ou pas, mais que ce n’est pas une raison pour passer sous silence des comportements problématiques au nom d’une prétendue sororité universelle : une femme peut très bien opprimer une autre femme, et certaines peuvent être, selon les idéologies auxquelles elles adhèrent ou les agresseurs qu’elles ont intérêt à défendre, de vraies ennemies politiques.

Entrepreneur des médias, Fondatrice de MeltingBook, Directrice de la publication et des Éditions MB.

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