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L’Algérie, ce pays prisonnier de son Président fantôme

Le vendredi 22 février 2018 ne restera pas une date comme les autres dans toute l’Algérie. Ce jour-là, des milliers de personnes essentiellement jeunes et masculines se sont réunies dans le centre de toutes les villes du pays pour protester contre une 5e candidature d’Abdelaziz Bouteflika aux prochaines élections de mars 2019… dans quelques petites semaines.

Immédiatement, cette nouvelle caisse de résonance que sont les réseaux sociaux a propagé des vidéos de foules entières appelant à un changement de système. 


Quelques affrontements ont même eu lieu avec la police anti-émeute. Rien de très violent, mais on sent qu’à tout moment ce pouvoir chancelant comme un boxeur proche du KO, peut riposter avec violence. Surtout qu’au sommet même de l’état, des doutes semblent exister sur cette candidature.

Les manifestations ne sont pas restées éphémères. Ces samedis et dimanche, la foule a continuer de donner de la voix. La Grande Poste d’Alger a vu émerger de nouveaux visages, plus mixtes, plus intergénérationnels.

Des étudiants algériens manifestent contre la décision d’Abdelaziz Bouteflika de briguer un cinquième mandat, le 26 février 2019 à Alger (Algérie).  (FAROUK BATICHE / ANADOLU AGENCY / AFP)



À Alger bien sûr mais aussi à Batna, Constantine, Bejaia, Oran, Tizi-Ouzou, des manifestations ont soudainement surgit des bas-fonds du pays pour exprimer leur ras le bol. 


Des flots de personnes se sont également retrouvés place de la République à Paris où une importante communauté algérienne s’est réunit en soutien au pays. Drapeaux algériens sur les épaules, des pancartes anti-FLN et le « 5 » inscrit sur des panneaux, rayé, expriment le refus de voir un président sortant, fatigué, invisible et inexistant se présenter une cinquième fois au pouvoir pour un bilan plus que négatif.


Climat politique ubuesque, cela fait des mois que le président de la République, âgé de 81 ans n’a pas été vu en public. Des mois que depuis son AVC, il n’est représenté qu’en photo comme dans les dictatures les primitives du globe.

Des mois que le pays le plus jeune d’Afrique se voit imposer un président vieillissant et fatigué multipliant les allers-retours en douce entre Grenoble où travaille son médecin personnel ou Genève la semaine dernière. Le tout dans une démocratie sans opposition, ni relève.

Beaucoup le croient mort.

Mais Abdelaziz Bouteflika n’est pas la seule cible des manifestants. C’est l’arbre qui cache toute une forêt à commencer par son frère Said, numéro 2 du régime qui dirige le pays en sous-main. 

Un homme vu par la foule comme c’est également tous les sexagénaires du Parti au pouvoir tel Sellal Ouyahiya qui sont visés, incapable d’avoir fait préparer une nouvelle relève en capacité de diriger le plus grand pays d’Afrique et l’un des principaux fournisseurs de gaz au monde.

Pas question pour les Algériens de clamer un pâle Printemps arabe, les manifestants veulent une transition en douceur.

Depuis l’indépendance de 1962, ce pays cette révolte est un écho aux manifestations de 1988 où les quartiers populaires de Belcourt à la Casbah s’étaient embrasés contre un chômage persistant et une absence totale de démocratie. 

Après une répression brutale des forces de police, Chaddli Bendjeddid avait dû modifier la Constitution, ouvrant la porte à un régime pluraliste.

Mais le mal était déjà fait. Les islamistes avaient fini par s’engouffrer dans la brèche en prenant des villes importantes comme Alger la Blanche préfigurant une décennie noire matinée de rouge.

Trente ans après, rien ne semble avoir changé. Les manifestants réclament les mêmes revendications que leurs aînés : des réformes en matière scolaire, économique, culturelle… Plus de corruption, une nouvelle génération au pouvoir, la liberté d’expression…

AFP PHOTO / FAROUK BATICHE

Car au travers de ce président, c’est tout un système qui est rejeté, un système qui mêle corruption, clanisme, népotisme et incapacité à transformer le pays, à fournir un présent et un avenir décent pour une population de 26 ans de moyenne d’âge.

Fini « le Père conciliant et réconciliant » de 2001 à une époque où l’ancien ministre des affaires étrangères du président Boumedienne incarnait l’image d’un état fort sorti vainqueur d’une guerre sanglante contre le Front Islamique du Salut. Terminé le chantage des progressistes contre un fascisme vert que les plus jeunes n’ont pas connu directement.

C’est une véritable colère populaire qui a commencé à gronder doucement depuis un an.

Pas question pour les Algériens de clamer à un pâle Printemps arabe, qui n’est un succès pour personne-mis à part la Tunisie. Les manifestants veulent une transition en douceur.

Cette jeunesse surdiplômée, qualifiée est au chômage ou travaille dans des temps partiels sous-payés. Comme dans beaucoup de pays européens, notamment en Espagne, ils sont obligés de vivre chez leurs parents, faute de pouvoir prendre une location. 

C’est le cas d’Hannah, 32 ans. Originaire de Belcourt, elle vit à Bentalha dans la périphérie d’Alger chez ses parents. Master 2 en archéologie, spécialisé sur Tipaza si cher à Camus, elle vend des vêtements dans une boutique de vêtement dans le centre d’Alger pour un faible : elle rêve de rejoindre l’Europe pour continuer son doctorat : 


« Je reproche à Said d’avoir détourné des milliards, à l’état d’avoir entraîner le pays dans une crise économique, culturelle, politique… Sans nom. Je demande à ces hommes qui ont pillé le pays de rendre des comptes et de démissionner. »

Hannah, 32 ans, Bentalha.


Les plus chanceux-et souvent les plus riches- ont quitté leur pays pour la France, la Suisse, mais surtout le Québec, nouvel eldorado pour les « têtes bien faites ».

Une question mérite tout de même d’être posée : si Bouteflika ne devait pas se présenter ou pire être réélu avant de décéder en début de mandat, qui gouvernera officiellement le pays ? 

Certes, il y a le pôle économique, l’armée et le pôle présidentiel, mais ils sont les piliers du régime que rejettent aujourd’hui les Algériens. 

Une armée purgée dernièrement après l’affaire des kilos de cocaïne trouvés dans le port d’Oran. Seul le Département de la Sécurité et du Renseignement de Bachir Tartag, le KGB algérien, déjà hostile à une 4e candidature, peut faire blocage à une 5e.

Où est l’opposition ? 


Contrairement à la lubie des laïcs de France et de Navarre, les islamistes malgré quelques groupes dans les montagnes kabyles, ne représentent pas une menace électorale. Ils n’ont ni structure, ni leaders charismatiques et restent détestés par la population en souvenir des années 90. Et ce n’est pas parce que des « femmes voilées et des barbus » se glissent comme de simples citoyens dans les cortèges que la charia devient une revendication des manifestants.

Leur seule chance d’obtenir des voix réside dans l’absence d’une opposition crédible.

Ni les socialistes, ni le Centriste Ali Benfils, ni le général Ali Ghediri ni le « Nuit debout » local « Mwatanah » ne peuvent prendre le pouvoir, faute de militants, d’électeurs et de charisme.

Quelles solutions à court et moyen terme sont susceptibles de sortir l’Algérie de ce marasme ?

Une gouvernance à la Belge, c’est-à-dire sans gouvernement ? Une coalition de toutes les forces du pays ? Cela impliquerait l’incorporation d’une dose de proportionnelle et un changement de constitution ? Un conseil des sages en attendant une transition douce ? Pour le moment hormis l’ancien président Zeroual, peu de ces « anciens » ne semblent pas avoir compris correctement la situation, cramponnés à leur privilège, sans parler de leur santé…

Existerait-il un « Adolfo Suarez » algérien-? 

Un haut fonctionnaire, biberonné à l’école FLN ou issu de la DRS, suffisamment habile pour rassurer les pouvoirs économiques et militaires tout en assurant des réformes profondes dans un pays qui a toujours sous-traité à des pays extérieurs les gros chantiers ? 

Un pays qui s’est beaucoup trop appuyé sur le pétrole et le gaz pour vivre sans développer d’appareils productifs lui permettant de fournir des emplois à sa jeunesse ? 

Un pays où l’armée va devoir cesser d’apparaître comme un pouvoir politique structurant pour simplement remplir efficacement et uniquement son rôle de protecteur de la nation ? Idem pour la DRS… 

Un pays où la corruption ne sera plus une norme au sein des castes politiques et économiques qui se sont suffisamment arrosés depuis 70 ans ?

Car sans changement profond de mentalité à chaque strate de la nation, ces manifestations et ces cris de colère ne serviront à rien sauf à servir d’exemple à de nouvelles générations de désoeuvrés qui à leur tour dans dix ans manifesteront dans la rue pour les mêmes raisons…

L’Algérie ne serait-elle alors qu’un éternel serpent appelés à se mordre indéfiniment la queue pour ne jamais avancer… Malgré d’innombrables atouts en tout point.

Gageons que non… mais le temps passe vite, si vite.


Cyril Garcia, Historien et politiste, spécialisé sur le Maghreb, je vous offre un voyage sans détour ni retour dans ce « Uber pour Tobrouk » pour une actualité souvent brûlante mais si passionnante ! Bonne route à tous ! www.unuberpourtobrouk.com

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