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Le Migrant comme Figure

[#Série d’analyses] 

MeltingBook publie en exclusivité une série de 10 analyses tirées du livre : Abécédaire du jihadisme post-daesh : Analyses Témoignages Perspectives (2018). Un ouvrage collectif sous la direction de Moussa Khedimellah.

La troisième celle de Piero-D. Galloro, maître de conférences HDR en sociologie à l’Université de Lorraine, Laboratoire 2L2S.

Pour l’Unesco, le terme migrant représente toute personne qui vit de façon temporaire ou permanente dans un pays dans lequel il n’est pas né et qui a acquis d’importants liens sociaux avec ce pays.

Cette définition, somme toute générale, ne rend qu’imparfaitement compte des réalités vécues : présenté ainsi, le migrant n’a ni sexe, ni âge, ni langue, ni religion, ni couleur de peau, ni opinion politique, ni désir, ni quoi que ce soit qui lui rendrait sa complexité et son unicité.

Le Migrant : un concept, une vue de l’esprit

Il devient un concept. Une vue de l’esprit. Une manière de voir. Et justement, le verbe voir provient du latin videre qui veut dire autant percevoir par la vue, remarquer, constater par la pensée ou l’imagination que prendre garde ….

Le Migrant devient par là une figure remarquable : le dictionnaire nous précise que ce qui est remarquable, c’est ce « qui est susceptible d’attirer l’attention ». Et quoi de plus simple pour attirer l’attention que de mettre des marques pour rendre visible ce qu’il convient de voir ?

Comme un nez au milieu d’une figure voire la figure de celui que l’on regarde pour savoir si on peut le reconnaître ou pas. Non la figure sienne propre mais celle que la société pose en fonction des circonstances. Car c’est la société qui marque le Migrant en fonction de comment elle le perçoit. Elle le marque en le montrant.

Montrer c’est avant tout désigner, terme qui, dans son origine latine designare signifie marquer d’un signe. Ce marquage permet d’indiquer (comme dans montrer du doigt et mettre à l’Index), d’attirer l’attention, de signaler (là encore joue la racine latine signum qui renvoie au signe) quelque chose ou quelqu’un.

Le migrant réduit à un objet de monstration

Le signe est une marque distinctive faite par un geste, une représentation, un discours, une image. Le signe – et la plupart de ses dérivés (signature, signification, assignation, désignation, dessin, dessiner voire même tocsin : cette volée de cloches sonnées pour avertir d’un danger, lancer un signal, une alarme) – sert à indiquer, autrement dit à révéler et à dénoncer ce qui provoque la peur. Car le migrant est réduit – dans le regard de ceux qui le voient – à un objet de monstration et donc à devenir celui que l’on montre : le monstre dans le regard d’Autrui.

Le terme même de « regard », apparaît dès la fin du Xe siècle comme une « action ou manière de diriger les yeux vers un objet afin de voir » tout en étant l’expression des yeux de celui qui regarde. Quelques siècles plus tard, au XIIe siècle, le regard sera défini comme l’attention que l’on prête à quelqu’un ou quelque chose.

« Un lien direct a été établi entre le Réfugié, le Migrant et le Terroriste »

Et le Littré nous apprend que ce qui attire le regard, l’attention, ce qui arrête la vue, c’est le spectacle ! Le spectacle, du latin spectaculum vient de spectare, regarder, orienter le regard dans le sens d’une véritable exposition à l’attention publique, celle de la société d’accueil sur les migrants. Le migrant n’est donc que le fruit d’une représentation.

Or, toute représentation, est avant tout une mise en présentation (une re-présentation) de la réalité par des intermédiaires qui l’ont, au préalable, façonnée et mise en forme c’est-à-dire mis en moule telle une figura : une figuration, une forme, un aspect, un mode d’expression (figures de style), une manière… Et toute figure est un modelage, matériau malléable à souhait en fonction des besoins.

Ainsi le Migrant a-t-il été figuré tour à tour sous la forme du Travailleur Immigré, celle du Réfugié, celle du Clandestin, celle du Terroriste, celle du jeune de Banlieue (quand bien même il est né sur le territoire national) et du musulman prompt à la violence sous les traits de jeunes radicalisés.

De ce point de vue, un lien direct a été établi entre le Réfugié, le Migrant et le Terroriste (ce dernier étant la plupart du temps réduit au musulman qui, lui-même, est limité à l’islamiste). Trois termes et trois réalités différentes mais mis en lien par les discours et les images jusqu’à l’amalgame.

D’ailleurs, qu’est-ce qu’un amalgame ? Etymologiquement c’est un mélange d’éléments hétérogènes issu du vocabulaire des alchimistes qui ont pris à la lettre le terme arabe amal al-djamā signifiant fusion dans le sens d’union charnelle.

Une sorte d’incorporation dans le sens d’une mise en corps où le corps du Migrant devient un corps du délit : le migrant italien d’avant 1914 gesticulant et tactile accusé de mœurs scandaleuses, le migrant slave suspecté dans l’entre-deux-guerres d’être porteur de germes au même titre que le migrant africain vecteur d’une migration bactériologique et plus récemment du migrant réfugié en Allemagne accusé d’être un violeur.

Le mot entretient une étroite analogie avec les notions de modèle et de forme sans que les termes ne soient ni synonymes ni symétriques. Le modèle est un objet d’imitation qu’il convient de suivre, d’imiter, telles ces personnes qui dans un atelier d’artistes prennent la pose et qu’il s’agit de reproduire, de représenter en sculpture ou en dessin.

Au sens strict, forma signifie « moule« , et se rapporte à figura tout comme la cavité d’un moule correspond au corps modelé qui en provient.

La figure a une existence sur deux plans, celui figuratif qui restitue la forme des choses telle qu’on cherche à la montrer et, en filigrane, on y perçoit aussi l’ensemble des apparences possibles de la forme proposée.

L’autre sens provient de l’étymologie de la Figure : illustration ou cas exemplaire, modèle, exemple ! Il sert d’exemple.

Le Migrant devient alors le modèle de ce que la société imagine. C’est une icône, une image.

Du latin imago qui a donné naissance à imagination alors que l’une des traductions grecque du mot image n’est que fantasma ! Finalement un Migrant n’est plus une personne mais juste le reflet de l’état d’esprit et des peurs de la société qui l’élabore…

Piero-D. Galloro, MCF HDR en sociologie, Université de Lorraine, Laboratoire 2L2S

Photo de Une : © WATARI

Raconter, analyser, avancer.

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