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EXCLU. Macron, les banlieues et « le système »

L’inertie en marche. Le 15 mars dernier, une cinquantaine de représentants des quartiers prioritaires remettaient leurs travaux à Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Une étape qui clôt les 10 commissions thématiques, lancées en février.  Jean-Louis Borloo, ancien ministre de la Ville, doit s’appuyer sur cette matière pour relancer la Politique de la ville. Si des propositions ambitieuses ont été formulées, qu’en sera-t-il de leur application?

Un ministre absent. « Le seul moment où nous avons décelé un éclair de lumière, c’est quand son chien est entré dans la pièce ». Jeudi 15 mars, élus des banlieues et acteurs associatifs présentaient leurs productions à Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’indifférence le disputait au « mépris ».

« C’est un homme de la ruralité », souffle l’un des membres, présent ce jour-là. Pas étonnant, alors, que l’homme prêche pour sa paroisse. Etonnant pour un ministre, qui tient son onction d’un président, lui-même élu par les Français.

« La politique de la ville, c’est pas son truc ». Le constat est amer tant il laisse imaginer à quelle sauce seront mangés les quartiers dits « prioritaires ». Une erreur de casting, donc. Une erreur de débutant. Emmanuel Macron est un président jeune après tout.

Problème, l’homme suscite aussi le mécontentement de ses collègues qui l’accusent de « délaisser le monde rural ». Ni quartiers, ni campagne. Où est/va Jacques Mézard, alors ? Lui qui doit « réconcilier » toutes les « Frances » et surtout ramener ces territoires dans le giron de l’égalité républicaine.

Le 15 mars, un « non-événement » 

Reçu au ministère de la Cohésion des territoires, la cinquantaine de présents, tous impliqués dans les banlieues, ont vécu cette séance comme une « douche froide ». Driss Ettazaoui, élu dans l’Eure et membre de la commission « média et image des quartiers » a lui pointé le manque « d’appétence pour le sujet » tout en louant l’implication des groupes pour « nourrir la parole présidentielle ».

Si le discours se veut positif, en coulisse, d’autres langues sont bien plus acérées.

« Nous avons assisté jeudi à une équation, les territoires gagnants-la ruralité- contre les  territoires perdus, les quartiers », déplore l’un des membres. Et d’ajouter, « Jean-Louis Borloo a parlé des quartiers, de sa jeunesse, de l’avenir qu’elle représente pour la France. Jacques Mézard, lui, a basé son discours sur la nécessité de ramener la République dans les cités, de la place des femmes ou du communautarisme ».

Imaginaires contre terrains

Un discours stéréotypé dont on perçoit mal comment il pourrait révolutionner l’image et le rapport aux quartiers dits « populaires ».

A travers ces propos, le ministre Mézard soulève une contradiction du gouvernement d’Edouard Philippe, aujourd’hui en sortie « politique de la ville » à Mulhouse.

Louer les « forces vives de la Nation » sans les entendre, drôle de posture. « Il n’a ni écouté les élus, ni les propositions élaborées durant les commissions thématiques », souligne-t-on. Classique.

Une assertion que nuance l’un des membres de la commission média. Pour lui, Emmanuel Macron, président de la République a décliné une vraie vision lors de son discours à Tourcoing, le 15 novembre dernier.

« Je ne peux pas croire, qu’après avoir nous avoir consulté, nous acteurs de terrain, Macron nous dise qu’il ne se passera rien », martèle-t-il. Et puis, « il y a des commissions où le groupe a bien fonctionné », tempère, une autre voix.

Enième coup d’épée dans l’eau ?

Parmi les axes annoncés par le Président, le 15 novembre dernier, le retour « du droit commun dans les quartiers » et « l’émancipation des habitants ».

Reste que la physionomie des commissions destinées à construire le plan de bataille de Jean-Louis Borloo pour les quartiers en dit long.

Les personnes issues des quartiers populaires ont-elles pu présider les commissions ? En fixer le cap? Des co-présidences tout au plus. Anodin et symptomatique. Laisser les clés à « la diversité », mot policé au regard des réalités peu glorieuses qu’il masque, relève, encore, de l’épreuve psychologique…

Idem d’ailleurs pour le conseil présidentiel des villes,  conduit par Anne de Bayser, actuelle secrétaire générale adjointe de l’Elysée. Inclure les concernés en leur ôtant les commandes stratégiques du navire.

Pire, si de crédibles acteurs de terrain, comme Pas Sans Nous, ont assisté à ces commissions, la question du casting pose question. Qui décide de la pertinence et de la légitimité des personnes entendues dans les commissions ? Tout vient encore d’en-haut et c’est bien là le problème.

Sur la question des quartiers, il y a des paroles autorisées. Et des paroles interdites. Pourquoi ? Y aurait-il une bienséance républicaine surplombant la loi ?

Emancipation ou poudre de Perlimpinpin?

Or, « l’émancipation » des habitants, annoncée par Macron à Tourcoing, passe aussi par un changement de paradigme majeur.  Faire voler en éclat cette fameuse bienséance républicaine.

L’on peut venir des quartiers, de la « diversité », renvoyer l’élite à ses insuffisances, bousculer et imposer une vision stratégique. Qui mieux que les concernés pour impulser le changement ? D’ailleurs, qu’en est-il de l’empowerment ou le community organizing, concepts gagnants venus des Etats-Unis ?

Le rapport Marie-Hélène Bacqué/Mohamed Mechmache, remis au ministre délégué à la Ville en juillet 2013, avait posé les jalons opérationnels de « ce pouvoir d’agir » des habitants.

Passé « le succès rhétorique » de l’expression, il a surtout montré que « les conditions institutionnelles et politiques n’étaient pas réunis » pour décliner leurs préconisations, selon Thomas Kirzsbaum, sociologue.

Le chercheur incombe cet échec au refus des autorités de politiser « les demandes sociales » des habitants. Surtout, les institutions, d’après lui, verraient d’un mauvais œil des quartiers capables de « s’auto-organiser » sans elles. La création d’un rapport de force est bien au cœur du sujet. Emancipation…mais pas trop.

Reproduction du système

D’où une question qui jaillit à la lumière de ces commissions. Que peut vraiment faire Emmanuel Macron ? Lui qui a rendu obsolète le clivage droite/gauche ne semble pas faire le poids face au logiciel, à ce système qui produit de la ségrégation structurelle.

Avec 5 millions d’habitants dans les quartiers prioritaires, l’enjeu semble mineur. Pourtant, il dépasse le simple cadre des cités. Les difficultés rencontrées par leurs habitants ne s’arrêtent pas aux frontières de leurs territoires. Le nuage de Tchernobyl ne se produit qu’une fois.

Elles irriguent, par capillarité, leur rapport à la société française. Discrimination géographique, certes. Discrimination au patronyme, au faciès, à la religion aussi. Une ségrégation structurelle qui s’applique à l’emploi, au logement, à l’image de leurs quartiers. Les études chiffrées sur le sujet sont légion.

Mais, et on l’oublie souvent, les quartiers produisent aussi des « premiers de cordées » qui eux tracent leur route, s’émancipent et réinventent la France. Sans obole institutionnelle.

A Tourcoing, Emmanuel Macron remerciait Jean-Louis Borloo, ancien ministre de la Ville, « de remettre les gants pour aider à la bataille ». Mais, la bataille devrait aussi se jouer dans les rangs de notre chère élite. Là où l’immobilisme de la société française prend racine. Après 40 ans de politique de la ville, il est peut-être temps de prendre le problème à l’endroit.

Nadia Henni-Moulaï

Photo de Une: Le penseur, Rodin (source/ Kartavoir)

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