TOP

Des CAN des quartiers made in France

[#Reportage]

La Coupe d’Afrique des Nations 2019 débute aujourd’hui en Égypte. Durant la première quinzaine du mois, à l’instar d’autres villes franciliennes, Clichy-sous Bois a organisé sa propre coupe d’Afrique réunissant la jeunesse de différents quartiers. Récit du jour de la finale.



La tribune du stade Henri Barbusse de Clichy-sous-Bois est pleine à craquer. Au moins 3 000 participants sont venus assister, dimanche 16 juin, aux demi-finales de la coupe d’Afrique de Clichy-Montfermeil. Turquie-République démocratique du Congo, suivie par Algérie-Mali.

Deux affiches alléchantes avec de nombreux joueurs issus de la formation professionnelle à l’instar du malien Samba Diakhité, du congolais Christopher Maboulou, du turc Selim Ilgaz ou de l’algérien Aïssa Laïdouni. C’est l’aboutissement d’un tournoi sur trois week-ends qui a vu s’affronter 12 équipes.

Il y a une belle ambiance, ça donne une autre image des banlieues. C’est cette image que les médias devraient retenir et pas celle de BFM TV qui fait peur aux gens. Y’a rien de dangereux ici !



Mess, supporter de 28 ans.



“Turkiye ! Turkiye !” La palme des meilleurs supporters revient très certainement aux supporters Turcs. Ils mettent l’ambiance dans une tribune où se mélangent toutes les générations.

Des vidéos où ils enflamment la tribune avec leurs fumigènes rouges ont été partagées des milliers de fois sur les réseaux si bien que de nombreux sites comme celui du journal L’Équipe ont (seulement) relayé ces images.


Au pied de la tribune, vendeurs de salades de fruits, de brochettes et de boissons ne désemplissent pas. L’ambiance est bon enfant.


Les accolades sont nombreuses entre jeunes adultes ravis de se revoir après s’être perdus de vue… Le maire Olivier Klein passe saluer les organisateurs qui sont sur le qui-vive, à quelques minutes du coup d’envoi de la première demi-finale.

C’est déjà leur troisième week-end et ils ne s’attendaient pas à un succès aussi retentissant. Finalement, la RDC l’emporte 4-2 contre la Turquie qui n’a pas démérité. Dans la foulée, le Mali l’emporte difficilement 2-1. Ça chambre sec dans les tribunes.

C:\Users\Jean-Riad\Downloads\20190620_235351.jpg
De gauche à droite, les organisateurs du tournoi Gered, Gaye, Moussa, Pach et Hakim



Les banlieusards savent s’organiser pour mener de belles rencontres

Avant la finale, un match oppose les équipes féminines de Montfermeil et de Clichy-sous-Bois comme pour rappeler que les femmes ont toutes leurs places dans cette manifestation. Une évidence déjà visible dans les tribunes.

On compte de nombreuses supportrices de tout âge. Parmi elles, Assa Traoré, vêtue du maillot du Mali. La grande sœur d’Adama Traoré a été invitée par les organisateurs à faire un discours. Elle discute longuement avec Siaka Traoré qui, comme elle, a perdu son petit frère de manière tragique.

Même si ce tournoi est avant tout une fête autour du football, il renvoie aussi un message politique fort aux détracteurs de tous bords : les banlieusards savent s’organiser et peuvent aussi mener de belles manifestations.

Finalement, dans une ambiance incroyable, le Mali l’emportera dans la soirée contre la RDC avec un score de 3 buts à 1. Grand favori, l’équipe remettra son titre en jeu plus rapidement que prévu au vue du succès retentissant de ce tournoi.


Gered Luyindula, organisateur de la CAN de Clichy-Montfermeil

« Les habitants nous ont sollicité, on en rigolait au départ. On a répondu à l’appel du public avec un grand mouvement lancé depuis Evry, Aulnay, Créteil. En une semaine, on a monté quelque chose, mais on ne s’attendait pas à cette ampleur. Puis quand on voit cette mixité sociale et cet élan intercommunal, cela montre que le vivre ensemble existe. La Turquie et Haïti ne font pas partis des pays d’Afrique, mais c’est une ambiance incroyable. »


Hakim Lefebvre, organisateur de la CAN de Clichy-Montfermeil

« C’est le résultat du rassemblement de tous. On est satisfait de notre action. On parle de notre tournoi jusqu’en Turquie, en Tunisie, Winamax a parlé de nous… On a fait voyager Clichy ! À la base on voulait rassembler les quartiers. Je remercie Gaye de m’avoir sollicité ! »

C:\Users\Jean-Riad\Downloads\Screenshot_20190616-122542_Facebook.jpg
Tweet posté par Winamax Sport (Capture Twitter).



Moussa Cissé, organisateur de la CAN de Clichy-Montfermeil

« On ne s’attendait pas à un tel engouement. Les citoyens se sont impliqués quand ils ont vu ce qui se passait. Notre priorité, c’est le vivre ensemble, un mélange de communauté. Pas de haine, pas de jalousie, pas de différences de couleurs, de religion, on mélange tout le monde ! »


Gaye Traoré, organisateur de la CAN de Clichy-Montfermeil

« Je me suis dit : et pourquoi pas chez nous ? On a de bonnes installations, on aime le foot ici. J’ai appelé Hakim qui m’a encouragé. J’ai publié l’idée sur Facebook pour voir la réaction des gens. Gered s’est manifesté pour m’aider. On était hésitant au début. La mairie nous offre le complexe sportif. Depuis 10 jours, on dort peu, on a mis nos vies de famille de côté. On ne réalise pas encore. La semaine a été dure, on aimerait finir par une belle fête ! »



Medy Debigaderne, maire adjoint à la politique de la ville

C:\Users\Jean-Riad\Downloads\20190615_203239.jpg



« C’est une démarche spontanée de jeunes Clichois, nous, on a répondu présent pour les appuyer d’un point de vue logistique. Des services de la prévention et de la médiation sont là aussi.

Ça m’a bluffé, ce tournoi est la plus belle illustration du vivre ensemble, pas de mots pour traduire ça. Il y a une demande de se retrouver, de fédérer autour d’un moment festif. Les élus que nous sommes devions être à la hauteur de cette demande.

Il va falloir capitaliser là-dessus et pouvoir réitérer ce type d’initiative. Ce tournoi est à l’image de nos quartiers, de la France aussi, de ma ville, ça va à l’encontre des gens qui nous attaquent pour communautarisme ! Je supporte toutes les équipes, regardez j’ai un drapeau turc (rires…). »



Mess, 28 ans, supporter de l’Algérie

C:\Users\Jean-Riad\Downloads\20190615_192507.jpg



« Ça nous rapproche tous, c’est un moment convivial et familial avec des mères et pères de famille, des enfants, sans aucun problème. La preuve, il y a une belle ambiance, ça donne une autre image des banlieues. C’est cette image que les médias devraient retenir et pas celle de BFM TV qui fait peur aux gens. Y’a rien de dangereux ici ! On devrait même faire une CAN avec toutes les communes d’Ile-de-France. » 



Joël, 26 ans, supporter de la République démocratique du Congo

C:\Users\Jean-Riad\Downloads\20190620_235633.jpg


«  C’est très bien : ça fédère, même le fait d’avoir invité la Turquie, Haïti c’est lourd ! On se retrouve ici entre supporters des différentes équipes. On voit de nouveaux talents, j’espère que ça va se développer et que l’on en refera. La banlieue évolue, on peut bien faire les choses. Les gens vont réaliser qu’on n’est pas mauvais ici… Maintenant, on commence à être compris et c’est très bien ! »

Kassimou, 19 ans, supporter du Mali

C:\Users\Jean-Riad\Contacts\Desktop\20190615_212806.jpg



« Ça nous réunit tous. On prend du plaisir. Ça se passe bien, on est rarement réunis comme ça entre cités. Il y a souvent des tensions. On peut faire des choses bien qui sortent des clichés que l’on a sur nous.

Pourquoi pas renouveler la CAN chaque année, franchement c’est formidable ! Pour ce qui est de la Turquie, ce sont nos frères, c’est pareil, on est tous des mêmes quartiers. On est tous ensemble, c’est l’humanité, pas besoin de se réunir qu’entre Africains ».



Mehmet, 18 ans, supporter de la Turquie

C:\Users\Jean-Riad\Downloads\20190616_134220.jpg



« Coté sportif, certains joueurs se révèlent durant ce tournoi. Côté supporters, c’est convivial, tout le monde s’entend bien que ce soit chez les Turcs, les Maliens et les autres nations.

Tout le monde joue le jeu, supporte son équipe comme si c’était des matchs officiels et ça fait plaisir ! Ça donne de belles vidéos sur les réseaux sociaux et une bonne image de la ville.

On peut faire de grands événements ici sans problèmes. Sur le fait que la Turquie puisse jouer cette CAN : il y a une forte communauté ici à Clichy-Montfermeil. Cela a joué.

Ça nous permet de faire cette CAN avec nos frères Africains. Vous avez pu voir que l’équipe turque face la Guinée est sortie avec une banderole en soutien au peuple malien suite au massacre dans un village. Même si on n’est pas originaire du même continent, on reste des frères quand même ! »


Aïssa Laïdouni (au centre), 21 ans, joueur au FC Voluntari (D1 roumaine), a joué pour l’équipe d’Algérie lors de cette CAN

C:\Users\Jean-Riad\Downloads\20190616_150720.jpg



« C’est un bel événement pour la ville, une très belle fête. Il y a du niveau mine de rien ! On le voit pas forcément depuis les tribunes, mais ça joue vraiment bien.

Pas mal de joueurs professionnels ont souhaité venir jouer ! Sur le terrain, ça fait vibrer et c’est parfait. L’état d’esprit est bon pendant les matchs, il y a de l’engagement physique, quelques coups, mais c’est normal, c’est le football.

Mais sinon, c’est fairplay, après une faute, on s’excuse, les arbitres font aussi un gros boulot et on les remercie ! »

Droit au but. Bon esprit, sportives, humaines : les CAN made in France signent un vrai pied-de-nez aux clichés.


Jean-Riad Kechaou est professeur depuis 15 ans en banlieue parisienne. Auteur d'un essai socio-historique sur le quartier des Bosquets « 93370 Les Bosquets, un ghetto français » (MeltingBook Editions). Il écrit pour MeltingBook et le site de Politis dans un blog intitulé "Un Prof sur le front".

Post a Comment

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.