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Marc Vuillemot: « Les débats politiques aujourd’hui sont honteux »

Il fait partie des rares édiles qui accueillent les migrants à bras ouverts. Pour Marc Vuillemot, maire socialiste de la Seyne-sur-Mer (Var), l’accueil des migrants relève du pacte républicain. Tout comme les banlieues qu’il tente de placer au cœur des discussions et des programmes présidentiels.

Le démantèlement de la jungle de Calais a pris fin le 2 novembre. Celui de Stalingrad à Paris, le 4 novembre. Des bus ont acheminé des migrants dans plusieurs communes de France. La Seyne-sur-Mer en fait-elle partie ?

En fait, nous accueillons déjà une quarantaine de migrants depuis 2015, dans un ancien foyer de travailleurs immigrés. Nous n’avons pas vraiment fait de publicité autour de ça. Mais, il me semblait normal de répondre à l’appel du chef de l’Etat. Et tout se passe très bien avec eux.

refugies-stalingradDémantèlement de la « mini-jungle » de Stalingrad, Paris, 4 novembre
Photo/N.Cadoret

Est-ce vous vous portez volontaire pour accueillir davantage de migrants ?

Je ne peux pas vous répondre. Ce n’est pas moi mais la préfecture qui gère leur accueil avec les établissements et les structures associatives du département. Mais s’il reste de la place pour d’autres personnes, ma foi, c’est une bonne chose. Je n’aurai aucun souci avec ça.

Cela paraît évident pour vous….

C’est normal, oui. Je n’ai aucun souci avec ça. La terre appartient à tout le monde. Quand on a la chance d’en faire partie et qu’il faut faire de la place pour d’autres humains en détresse, on le fait sans hésiter. Pour des migrants ou pour qui que ce soit d’ailleurs, victime d’un drame humanitaire.

Mais votre position n’est pas partagée par tout le monde, notamment dans le Var. On se souvient des manifestations anti-migrants à Pierrefeu il y a quelques jours

Oui, c’est vrai. J’ai ouï dire d’une campagne du Front National avec un slogan du type «zéro migrant dans ma ville »…(silence) Mais je vais vous dire une chose. Nous, les Seynois, nous savons ce que c’est que fuir quand les conditions sont extrêmes. En 1942, quand les Allemands ont occupé les chantiers navals pour entretenir leur flotte de guerre, les alliés les ont bombardés. Mais à cette époque, les frappes n’étaient pas vraiment chirurgicales, et une partie de la ville a été démolie. Des centaines de Seynois ont dû quitter la ville pour se réfugier dans le Vaucluse, la Drôme ou la Savoie, parfois jusqu’à la fin de la guerre. Aujourd’hui, notre tour est venu de rendre la pareille, c’est tout.

Comprenez-vous que des édiles refusent d’accueillir des migrants dans leur commune ?

Très honnêtement, non. Surtout nous. A la limite, je peux comprendre la réaction d’un concitoyen qui vit en dessous du seuil de pauvreté et qui se dit qu’on va mettre des moyens de la puissance publique pour d’autres, quand lui ne s’en sort pas.

Je peux l’entendre, même si c’est un raisonnement simpliste.

Mais nous, nous nous sommes présentés au suffrage des électeurs au nom des valeurs de la République française. Je ne peux pas comprendre, sauf situation exceptionnelle, que nous n’exercions pas le devoir de solidarité qui s’appuie justement sur ces mêmes valeurs. C’est quelque chose qui me dépasse.

Robert Menard et sa campagne anti-migrants, on en parle ?

Tout ça fait partie d’une stratégie politicienne. Nous sommes en période pré-électorale, et on détourne manifestement les intérêts de nos concitoyens vers des sujets qui ne sont pas, à mon avis, des sujets majeurs.

migrants-beziersCampagne anti-migrants par la municipalité, lancée à Béziers en octobre 2016

Qu’entendez-vous par sujets majeurs ?

La lutte contre l’économie mondialisée et les conditions qu’elle nous impose, par exemple. Le chômage, le fait que dans un pays comme le nôtre, au 21ème siècle, tout le monde n’a pas accès à un logement.

Le problème des transports et de la mobilité. Et la question essentielle de la discrimination à l’embauche. Pourquoi un habitant des quartiers populaires qui écrit son nom et son adresse sur un cv est barré beaucoup plus qu’un autre ?

Vous avez interpellé les candidats à la présidentielle sur la thématique des banlieues le mois dernier. L’association Villes et banlieues, dont vous êtes le président, leur a soumis 31 pistes de réflexions à inclure dans leurs programmes. Vous n’êtes pas le premier à le faire, mais les résultats sont décevants à chaque fois…

Je suis d’accord, mais faut-il pour autant baisser les bras ? Je préside une association où se regroupent toutes les sensibilités, socialistes, républicains, centristes, écologistes et nous, on y croit.

Ce n’est pas parce que nous avons vécu des expériences douloureuses que nous devons renoncer à plaider la cause de ces concitoyens là. Ils représentent quand même plus de cinq millions de personnes, ce n’est pas rien. Malgré tout, je reste optimiste.

Mais les habitants des quartiers populaires ne croient plus aux promesses des politiques. Vous l’avez vous-même constaté dans votre ville, où le FN est arrivé premier lors des dernières départementales. On a promis le vote aux étrangers, et rien. De sanctionner le contrôle au faciès, encore rien…Sans parler du débat sur la déchéance de la nationalité, qui a fini de décrédibiliser la gauche sur un terrain qui lui était favorable il y a encore quelques années.

Vous avez raison de le dire, cet électorat n’y croit plus. Force est de reconnaître que le gouvernement a commis une grave erreur en enterrant sa promesse sur le droit de vote aux étrangers.

droit-de-vote-etrangersManifestation en faveur du droits de vote des étrangers (photo/NouvelObs)

C’est un rendez-vous gravement manqué. On ne peut pas à la fois dire aux gens « vous êtes des citoyens de ce morceau du monde, de ce territoire républicain » et au final, ne pas mettre en œuvre cet engagement fort.

Et pourquoi a-t-on enterré cette mesure à votre avis ?

(silence) Je ne sais pas, je suis comme vous, je me pose des questions. Peut-être a-t-on craint que ça ne passe pas au Congrès…Mais peu importe les raisons. On a eu tort de ne pas ouvrir le débat. Car c’est en discutant, en opposant nos idées, qu’on fait avancer les choses.

Peut-être qu’on aurait gagné l’accord majoritaire du peuple, peut-être pas, mais dans tous les cas, le débat aurait permis d’éveiller les consciences et de retrouver nos valeurs morales. Je n’ai pas peur d’employer ce mot, dans un pays qui a quand même une mémoire judéo chrétienne avec une morale forte, enrichie de ceux venus d’Outre-Mer et de Méditerranée.

Cet abandon, que dit-il du gouvernement actuel ?

Il dit qu’on a eu tort d’avoir peur, si effectivement le gouvernement a refusé de mettre cette question en débat par peur. Pour en arriver là où il est aujourd’hui, j’ai envie de dire…Si on avait ouvert le débat, l’idée serait rentrée dans les mentalités doucement, et avec le temps, serait apparue normal.

Comme cela a été le cas avec le mariage pour tous et la peine de mort. Tout ça illustre là un vrai problème. Les gens qui font de la politique, aujourd’hui, à l’échelle nationale ont perdu pied avec quelque chose de fondamental qui s’appelait l’éducation populaire.

Au 19ème siècle, ça voulait dire apprendre à lire et à écrire aux ouvriers afin qu’ils se défendent. Ces combats étaient menés essentiellement par le monde syndical. Aujourd’hui, tout ça c’est extrêmement fragilisé.

L’éducation, au sens d’éveil des consciences, est une bagarre qu’il faut mener toute sa vie. Et c’est le devoir de ceux qui sont aux manettes de la République de soutenir tous ceux qui concourent à l’éveil des consciences, quel qu’il soit.

Cela peut-être un club de foot, un centre culturel, un syndicat, les animateurs, les enseignants, les retraités qui s’occupent de faire du tutorat avec des gens en réinsertion professionnelle…

Même le patron de bistrot, avec qui la discussion peut être virile. Ce n’est pas grave. Ce qui importe, c’est qu’on se questionne, car je le répète, c’est comme cela qu’on grandit et qu’on est capable de se positionner pour faire évoluer les choses.

Tout ces manquements, dont vous parlez, incombent au parti dont vous faîtes partie et pour lequel vous cotisez.

C’est bien la raison pour laquelle existent des associations de ville et de citoyens comme la nôtre, pour qu’on n’oublie pas ces banlieues. En ce moment, beaucoup de choses se jouent dans les conseils de citoyens, à l’image de ce qui se passait dans les bourses du travail deux siècles en arrière.

Et puis, ce n’est pas tout à fait juste de dire que rien ne se passe au gouvernement. Je dois rendre hommage à Hélène Geoffroy (secrétaire d’Etat chargée de la Ville, ndlr) qui s’est bagarrée pour nous, à Patrick Kanner (ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, ndlr) qui nous a largement suivi et accompagné dans nos démarches.

A François Lamy (prédécesseur de P.Kanner, ndlr)), qui a inscrit dans la loi cette participation des citoyens. D’autres avant eux, comme Jean-Louis Borloo (ancien ministre sous Nicolas Sarkozy, ndlr)), avaient également fait le job.

Mais on a trop souvent l’impression, et c’est là le problème, que tous ces ministres sont seuls pour défendre ces morceaux du territoire de la République.

Pourquoi n’ont-ils pas été soutenus davantage, à votre avis ? N’est-ce pas justement parce que le gouvernement n’a pas fait des banlieues une priorité de son quinquennat ?

Ce que je vais dire est terrible, et je vais probablement me faire démolir pour ça, mais quand on mesure, peut-être, l’importance des sujets à l’aune du pourcentage de votants potentiels d’un territoire, on n’est pas bon républicain.

Si on considère l’enjeu de la France de la République une et indivisible à l’aune de 20% d’électeurs, évidemment, il y a du boulot à accomplir. Mais si on la considère à l’aune de l’égalité républicaine, tout devrait bien se passer.

selena gomez red dressCité Pablo Picasso, Nanterre (Hauts-de-Seine)


Etes-vous entendus par le gouvernement à Villes et Banlieues ?

Nous sommes sans aucun doute écoutés pas les ministres, qui nous reçoivent quand nous les sollicitons. Maintenant, je ne suis pas madame Irma, je ne peux pas vous dire ce qu’ils vont faire de nos propositions.

Mais ce que je peux affirmer, objectivement, c’est qu’à ce jour, aucun des candidats à la candidature des primaires de la droite, des verts, de la gauche ou autre n’a répondu à notre appel.

C’est une réalité, et pour vous dire la vérité, je ne suis pas bien content. Mon équipe et moi nous tenons à disposition pour discuter de telle ou telle proposition, mais la vérité, c’est que personne ne nous a appelé.

Avez-vous l’impression que la campagne s’organise uniquement autour de sujets qui font du buzz ?

Quand je vois le contenu des débats politiques aujourd’hui, de l’extrême-gauche à l’extrême droite, je me dis que c’est honteux. Des gens ont versé leur sang pour faire vivre la République et la démocratie.

Je suis peut-être un vieillard, mais je n’ai jamais vu ça. Je ne critique pas souvent les médias, mais je ne suis pas heureux de les voir se contenter de faire tourner en boucle des éléments sur l’identité gauloise ou royale, ou Marlboro, et ne pas plus pousser les politiques dans leurs retranchements.

Vous n’y allez pas de main morte avec les politiques de votre bord, mais vous êtes encarté au PS. Pourquoi ne pas quitter le parti ?

Je ne suis pas d’accord avec la majorité de mes camarades parlementaires, députés et sénateurs sur un certain nombre de choses. Je suis dans la minorité très à gauche du parti, mais comme je suis démocrate, je respecte nos désaccords.

Je reste au parti socialiste après avoir avalé quelques couleuvres, comme en 2005, ou les dirigeants de l’époque, dont les socialistes, se sont assis sur le peuple qui a voté non au traité européen. J’ai eu des moments de doute, je ne vous le cache pas, où je me suis demandé ce que je faisais là. Et puis je reste en disant que je vais exercer ma force de conviction et pousser davantage à gauche.

On peut être de sensibilité de gauche sans appartenir à un parti politique…

Je suis un socialiste de l’époque de la SFIO, qui accepte la pluralité des voix au sein de mon parti. Ce que j’aimerais, c’est que derrière la catastrophe qui se profile l’année prochaine, il y ait quelque chose qui se passe dans mon camp, qu’on retourne aux fondamentaux. Et ça commence par plus de démocratie à l’échelle locale.

Vous pensez qu’il est encore temps d’inverser la tendance dans les banlieues ? Quand on est stigmatisé par des politiques supposés nous représenter, comment peut-on croire encore en la démocratie et aller voter ?

Rien n’est jamais trop tard. Je compte énormément sur les hommes et les femmes investis dans la vie sociale, dans des clubs de sport, des associations, des centres culturels, des partis politiques pour faire vivre, encore et toujours, cette éducation populaire à laquelle j’aspire. Je suis inquiet par la conjoncture mais pas désespéré. Dix ou vingt ans, ce n’est rien à l’échelle de l’histoire. Je suis optimiste, les choses évolueront.

Propos recueillis par Souhir Hachani

Raconter, analyser, avancer.

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