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Inès Seddiki : « Inspirer la jeunesse sans élitisme »

Inès Seddiki a 27 ans et une furieuse envie de changer le monde. En 2016, elle fonde Ghett’up, une association pour redonner confiance à la jeunesse des quartiers. S’ils sont doués de ces « soft skills », ces compétences de vie, peu savent comment les utiliser. Ghett’up est là pour les outiller. 

Et si l’on valorisait les soft skills. L’expérience de vie au lieu des savoirs académiques. C’est l’objectif que s’est fixé Inès Seddiki, 27 ans.

Actuellement collaboratrice au parlement européen à Bruxelles, elle profite de cette séquence pour « découvrir les relations internationales et la politique avec la bonne distance ». Sans trop se compromettre, faut-il comprendre.

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Si elle s’épanouit dans ce job, c’est surtout sur le terrain qu’Inès change le monde. Et bien plus qu’elle ne le pense. En 2016, elle fonde Ghett’up, une association censée « déplacer le centre du monde vers les banlieues», là où la France se réinvente. (cf.encadré à la fin).

Laboratoires à ciel ouvert

C’est bien connu, les obstacles, quand ils ne vous tuent pas, vous renforcent. Pas étonnant que ces quartiers, où l’embûche est à tous les coins de rue, fonctionnent comme des laboratoires d’idées.

C’est justement en misant sur ces parcours singuliers, dont les sillons marquent les cités, que Ghett’up a vu le jour. Avec une ambition précise : « outiller la jeunesse des quartiers populaires pour qu’elle soit la solution à ses problèmes», résume la jeune activiste.

Une posture qu’elle veut incluante, « notre démarche concerne aussi les zones rurales où comme dans les cités, les jeunes habitants n’ont pas conscience de leur potentiel et de l’impact qu’ils pourraient avoir sur la société ».

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Un aveuglement qui ne rend service à personne, sauf au système. « C’est dommage pour eux mais aussi pour la société », pointe-t-elle. Une façon de retourner le problème et d’aboutir à un questionnement.

Notre pays se prive d’une richesse dont il a pourtant besoin. Faut-il le rappeler ? Chômage à 10%, disparités sociales, les temps sont durs. Pourquoi se passer de forces vives de la Nation, bien nécessaires pour redynamiser un pays en plein repli ?

Pouvoir d’identification

« Ces jeunes adolescents ont développé de tas de compétences comme la débrouillardise ». Autrement dit, l’agilité d’esprit.

Concrètement, l’action de Ghett’up tourne autour de l’afterwork du Bendo, moment suspendu dans un quartier pour « travailler sur la confiance en soi individuelle mais aussi collective », explique Inès Seddiki.

Le principe ? « On invite les habitants et des gens inspirants, des roles models, issus du quartier pour échanger pendant une table ronde ». Le but consiste à « recréer l’écosystème du quartier, « inspirer sans élitisme , créer une autre narration, réseauter, créer du lien et des opportunités ».

Les gens intéressants ne sont pas qu’à Paris

« Ces roles models sont là justement pour raconter leur trajectoire, leur réussites, leurs rêves, leurs échecs. Ils le racontent avec leurs propres mots. Une façon de créer des ponts intergénérationnels et de susciter l’identification.

Autre point clé, semer les graines de l’engagement et de « conscientiser » ces jeunes publics. « Nous nous appuyons sur eux car ils sont investis dans la société », note-t-elle.

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Une façon de rappeler que dans les quartiers, ils sont nombreux à bouger les lignes.

Rien de mieux, d’ailleurs, pour corriger un récit médiatique biaisé, à la limite du fake news. À cela, elle acquiesce. « Aujourd’hui, nos récits sont confisqués par le mainstream ».

Au sens large, d’ailleurs. « Tu grandis avec l’idée qu’un jeune de quartier n’a que des problèmes. A un moment donné, c’est à toi de dire ta réalité ». Prendre la parole. Sans demander.

Ghett’up décode les codes

Mais pour cela, ces adolescents ont besoin d’éclairages. Au sens figuré comme au sens propre. Mettre la lumière sur le fonctionnement de notre système, fabrique à exclure plutôt qu’à inclure.

Et face à l’exclusion et aux discriminations, l’absence de clé de décryptage engendre blocages et rejets. « Les jeunes avec qui nous travaillons constatent pas mal de points de blocages.

Ils ne comprennent pas le fonctionnement de notre société mais ne parviennent à formuler ce qui ne va pas », pointe Inès Seddiki. Pas étonnant, alors, de les voir verser, adolescents, dans des « explications farfelues type Illuminatis pour expliquer leur malaise ».

Pire, « à l’âge adulte ce sentiment de marginalisation se transforme en sentiment d’impuissance. Il prend le dessus et les dissuade de s’impliquer dans la vie associative, par exemple », poursuit-elle.

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Une incompréhension de l’environnement qui se prolonge dans la vie active. « Par exemple, en entreprise, ils saisissent mal le fonctionnement, les codes, vont être moins audacieux » et donc douter.

Ce fameux doute, puissant sédatif contre la confiance de soi. D’où l’intérêt de voir émerger des initiatives telles que Ghett’up.

Parler avec le monde

D’autant que l’estime de soi, Inès Seddiki, l’a bien compris, est au centre des enjeux. L’équipe a, d’ailleurs mis en place, un programme de développement personnel / formation à destination des collégiens et lycéens.

« Avec 93 express, on veut connecter nos jeunes avec ceux à l’étranger ». Autour d’ateliers skype, « on les incite à parler, à poser leurs voix, à argumenter.

Comme ils cherchent à impressionner son homologue, ils développent une image positive d’eux-mêmes », souligne-t-elle.

Très vite, les discussions « tournent autour du racisme, des violences policières. Du coup, on les pousse à débattre, à argumenter mais surtout à décrypter ces réalités ».

L’association mise aussi sur des ateliers pour développer l’esprit critique, « lire » les images et décrypter les videos.

Des apprentissages menés avec France 24 et avec Graine d’Orateur 93 pour la prise de parole. 


Autre intérêt de ce programme, le grand plongeon dans le bain de l’international. « Cela peut déclencher pas mal de choses », positives auprès des participants.

Partir pour mieux revenir


Inès Seddiki sait bien de quoi elle parle.  Ghett’up naît hors de France.

« J’ai fait plusieurs stages durant mes études mais celui à New York a été un vrai déclic », confie-t-elle. « C’était la première fois que j’étais vue comme française à 100%. Cela a changé ma façon de voir les choses ». Mais, c’est au contact des habitants de Harlem, quartier où elle réside, que Ghett’up germe.

« J’ai eu des discussions avec certains très poussées. Nous avions beaucoup de points communs, en termes de musique ou de références. Quand tu n’as plus la barrière de classe, tu es à l’aise pour converser. Cela a été une expérience incroyable ! ».

Au cœur d’Harlem

Surtout, plongée dans la réalité d’Harlem, Inès voit comment les associations travaillent avec les plus jeunes.

« En France, il y a de superbes initiatives avec l’aide aux devoirs, qui sont moins développées aux US, par exemple. Je me suis aperçue que l’on ignorait tout un pan qui relève du développement de soi, de la prise d’initiatives ».

Comment être la solution à ses problèmes, comment porter un projet mais aussi toute l’expérience acquise sur le terrain. « En France, on n’encourage pas les jeunes à valoriser ces compétences alors que c’est très émancipateur. Tous ces atouts sont utiles à l’école mais aussi dans ton parcours de vie ».

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Le quartier comme terrain de vie

Cette fine analyse, Inès Seddiki, la doit justement à sa propre trajectoire. Née à Paris, elle s’installe avec des parents marocains à Sarcelles, dans le Val d’Oise.

« J’habitais dans un HLM à côté de la gare. De cette cité, j’en garde pleins de souvenirs, mes premières amitiés, mes premières embrouilles, aussi », relate-t-elle, amusée.

Il faut dire qu’à cette époque, Inès est une adolescente plutôt « garçon » comme elle le dit. «  Je portais des baggy et me bagarrais à la sortie du collège. C’était l’âge bête » que tous les parents d’ado connaissent, cité ou pas.

Mais, très vite, Inès se démarque. « Mes parents m’ont inscrit à plusieurs d’activités ». Gymnastique rythmique, conservatoire, « je me sentais en décalage avec les autres », se souvient-t-elle.

Tout le monde ne pense pas, forcément, aux bienfaits des activités extra-scolaires. D’autres n’ont pas les moyens.

« Ce décalage m’a appris à gérer ma différence, mon horizon s’est élargi ». Si les sorties organisées par le conservatoire la pousse vers d’autres milieux même si le retour au quartier, le soir, le replonge dans sa réalité.

Cette double casquette fait naître cette capacité d’adaptation propre aux enfants des quartiers.

Le droit à l’ambition

Côté étude, Inès Seddiki est douée mais peu ambitieuse. « Je voulais être caissière ou institutrice jusqu’à très tard. Malgré les encouragements de mes parents, je ne me voyais pas vraiment dans un autre rôle.

C’était les images de femmes belles et épanouies autour de moi ». Au lycée, ses profs remarquent son potentiel et la mettent en garde : « ne te ferme pas de portes ».

Entre temps, elle a déménagé à Saint Denis mais Sarcelles reste son terrain de jeux. « J’y fait ma prépa au lycée Jean Jacques Rousseau sans vraiment savoir où aller ». Et puis, le manque de confiance en elle l’empêche de viser haut. Elle a tort mais elle ne le sait pas encore.

« J’avais un prof en prépa qui donnait des cours à la fois à Sarcelles et dans le 16e . Il nous expliquait qu’on était complètement nul à l’écrit, que l’on formulait mal notre pensée mais à l’oral on avait une énergie, une capacité à convaincre qu’il ne retrouvait pas chez ses élèves du 16e.

Il faut pourtant avancer malgré l’impression d’illégitimité. Ce sera une école de commerce à Grenoble. « En dehors de mon quartier, c’est un peu le choc culturel mais aussi économique ». Inès commence à questionner le monde.

Jeune fille au pair, la première année, elle est accueillie chez une « femme qui vote FN». Une immersion « dans la tête de l’électeur frontiste. J’ai découvert tous les fantasmes qu’elle projetait sur moi ».

Après avoir « réussi à partir », elle suit son chemin et opte très vite pour l’alternance, pour être indépendante. Si elle peine à trouver sa voix, c’est son héritage parental qui l’inspire. « A peine arrivés en France, ils avaient monté une association pour assister les sans-papiers ou les personnes analphabètes dans leurs démarches ».

Sa carrière professionnelle suivra leurs pas ! « Je me suis engagée dans la responsabilité sociétales des entreprises ». Une responsabilité qu’elle a étendu depuis à ses activités extra-professionnelles.

« Si le sentiment d’infériorité m’a beaucoup pesée, aujourd’hui, j’ai conscience des atouts qu’il y a dans les quartiers ». Le temps du doute est révolu. « Nous devons capitaliser sur nos atouts ». Et puis, « les générations passées ont beaucoup fait pour nous. A nous de catalyser pour poursuivre ».

Nadia Henni-Moulaï

Le récap’

GHETT’UP est une association qui travaille à la revalorisation des quartiers auprès du grand public mais surtout auprès de leurs habitant.e.s eux-mêmes. 

Nous souhaitons créer les conditions pour que les jeunes des quartiers populaires se valorisent, se réalisent et prennent leur place dans la société.

Nous voulons, inspirer, former  et mettre en réseau les acteurs et actrices de changements issus des quartiers populaires, parce que le monde en a besoin.

Pour nous, la clé réside dans l’estime de soi individuelle et collective. A travers la valorisation de nos roles models et héros du quotidien, la mise en lumière de la culture et de l’histoire des quartiers populaires mais aussi la formation et le développement de compétences, nous espérons créer le déclic et poser les bases de l’action.

Pour nous, savoir pitcher un projet est aussi important que connaître l’histoire de la marche de 1983.  Nous souhaitons transformer le stigmate en une force pour chacun.e et une richesse pour tous.

“La banlieue influence paname, paname influence le monde”, Médine. Si nos potentiels se libèrent, ce sont les enjeux de nos quartiers qui trouveront leurs solutions mais également la société toute entière qui s’enrichit de talents précieux et d’un regard nouveau sur les défis contemporains.

Nous travaillons à développer des outils, des compétences, des expériences, des contenus et des espaces qui permettent de révéler et d’accélérer une génération de jeunes acteurs du changements.

Leviers = représentativité, inspiration, formation, débats, accompagnement de porteurs de projets.

Parmi les programmes Les afterworks du bendo pour tous, 93-EXPRESS pour les collégiens lycéens. Le programme sera décliné en septembre pour les porteurs de projets.

A venir, des conférences thématiques dont la prochaine,  « Nos darons » pour faire vivre l’apport de nos parents.

Entrepreneur des médias, Fondatrice de MeltingBook, Directrice de la publication et des Éditions MB.

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