TOP

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Jean Gabriel (1/7)

#HérosOrdinaires

Près de la frontière italienne, les habitants de Névache (Hautes-Alpes) redonnent un sens au mot solidarité en aidant des migrants. Melting Book vous propose de découvrir, à partir du lundi 26 mars, ces portraits réalisés par Fanny Genoux et Camille Pouyet. 

On nous avait prévenus : « Jean Gabriel a un tempérament très direct ».

Ainsi c’est avec un peu d’appréhension qu’on fait grimper notre guide de haute montagne dans la voiture, sous la neige qui recommence à tomber à gros flocons.

Mais une fois les présentations expédiées, le gaillard nous emporte bien vite dans le vif du sujet, nous conduisant à travers les ruelles enneigées de la ville tout en déroulant le fil des événements.

Comment tout ça a commencé ?

Jean-Gabriel nous raconte, tout en nous suggérant au passage les maisons des solidaires aux portes desquelles il faudra revenir frapper :« Depuis un an et demi, deux ans, on a eu des migrants le long de la route, peut-être un par semaine, ils faisaient du stop, on s’occupait pas de savoir d’où ils venaient, on les prenait. Et puis ça a été une fois par jour et depuis le printemps dernier la cadence s’est accélérée »

« Des hommes, des femmes, des enfants qui arrivent et frappent à la porte, il fait nuit, il pleut, on s’occupe pas de savoir s’ils sont verts, bleus ou noirs, on les fait rentrer ! »

Depuis juillet 2017, ce sont environ 2500 migrants qui sont arrivés à Briançon. Mais tous ne sont pas visibles à Névache, « certains continuent à pied sans s’arrêter. » commente Jean-Gabriel, avec le ton d’un porte parole déjà habitué à s’adresser aux médias.

« Nous, on se positionne contre le « déni de solidarité » : il y a des migrants, des hommes, des femmes, des enfants qui arrivent et frappent à la porte, il fait nuit, il pleut, on s’occupe pas de savoir s’ils sont verts, bleus ou noirs, on les fait rentrer ! » affirme-t-il, poursuivant sur les actions menées dans la commune. 

« Il y a des gens qui les reçoivent pour les nourrir, d’autres pour les loger, certains ne veulent pas les faire dormir (peur de la gale notamment), on lave systématiquement le linge, on les habille, on s’organise pour les loger ou on les descend tout de suite à Briançon s’ils ne sont pas trop fatigués ».

Interrogé sur la provenance de ces migrants, Jean-Gabriel affirme que« Beaucoup de ces gens sont francophones, ils viennent de nos charmantes colonies, de l’Afrique de l’ouest, de l’Érythrée, du Soudan, Mali, Cameroun.

La France n’est pas forcément un objectif de départ, mais l’idée se construit au fil de leur parcours, après avoir traversé un désert, avoir été réduit en esclavage, avoir traversé la mer… Ils sont prêts à s’arrêter dans le premier pays qui leur parait correct et qui veut bien d’eux. »

Mais l’accueil n’est pas toujours celui auquel ils s’attendaient, les passeurs leur vendent du rêve : « ça représente un business » dit-il. En effet, à Turin, autour des campo -qui comptent environ 200 000 personnes-, des passeurs leur font miroiter un hébergement grand luxe à Briançon. 

« Mais c’est pas du tout ça » reprend Jean-Gabriel, décrivant des conditions de vie qui sont loin d’être idylliques. Malgré tout, il y a maintenant 200 bénévoles qui y sont actifs, s’occupant d’une cellule d’accueil qui offre de la nourriture, des soins, ainsi que la prise en charge de leur transfert.

 « On les recueille frigorifiés, notre premier souci ce sont les pieds gelés »

 
La solidarité est donc bien ancrée dans le département, même si, au final, tout est pris en charge par les citoyens : « L’état ne fait rien » déclare, désabusé, celui que l’on surnomme ici « Jean-Gab’ ».

Lorsqu’il en vient à évoquer les conditions de passage des migrants, c’est avec le regard du professionnel de la montagne, qui en connaît les risques :  »  ils sont confrontés à la montagne qu’ils ne connaissent pas, ils sont stressés, très fatigués et ils attaquent la remontée du col de l’Échelle qui est très abrupte versant italien […] ils tracent de nuit car ils ont peur de la police, mais il y a le froid, le vent (-18°, -20° de ressenti), il y a des risques d’avalanche, des risques d’ophtalmie avec la réverbération de la neige, ils ont soif et donc mangent de la neige, ce qui est la dernière des choses à faire, donc ils choppent la gastro, ils ont tout pour que ça n’aille pas.

On les recueille frigorifiés, notre premier souci ce sont les pieds gelés, on leur met les pieds dans une gamelle d’eau tiède avec un antiseptique (si c’est trop grave on les descend à l’hôpital). Ici on a tous peur de trouver un cadavre à la fonte des neiges. »

Une déclaration qui fait froid dans le dos.

Depuis le début de la situation, Jean-Gabriel et sa femme ont accueilli chez eux plus d’une trentaine de migrants. Cette aide qu’il leur apporte, c’est un combat de plus pour cet habitué des causes à défendre : Jean-Gabriel est engagé depuis les années 1980 dans le « collectif Clarée » [1]afin de lutter contre différents projets qui menacent la vallée.

Pour conclure cette entrevue, tandis que la neige tombe, nous quittons Jean-Gabriel sur une séance photo en tenue de guide, fierté de ce militant dans l’âme.

Fanny Genoux et Camille Pouyet

[1] Pour suivre leur combat, voir http://www.collectifclaree.com/

Lire les portraits de la série #HérosOrdinaires :

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Olivier (2/7)

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Elsa & Heidi (3/7)

Raconter, analyser, avancer.

Comments (2)

Post a Comment

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.