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Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Elsa & Heidi (3/7)

#HérosOrdinaires

Près de la frontière italienne, les habitants de Névache (Hautes-Alpes) redonnent un sens au mot solidarité en aidant des migrants. Melting Book vous propose de découvrir, à partir du lundi 26 mars, ces portraits réalisés par Fanny Genoux et Camille Pouyet. 

Elsa est assistante sociale et vit à Névache depuis 5 ans. Heidi, résidente depuis 7 ans, possède quant à elle une formation en naturopathie. Aussi, il n’est pas étonnant que ces deux jeunes femmes se soient retrouvées embarquées dans cette expérience d’aide et de soins apportés aux migrants, depuis l’été 2017.

C’est à partir du mois de Juin que tout s’est accéléré, nous racontent-elles, tandis qu’Heidi fait manger sa petite fille, nullement perturbée de voir deux inconnus assister à son déjeuner.

« Le réseau des aidants s’est développé petit à petit », en particulier lorsqu’il a fallu s’organiser face aux forces de l’ordre, pour éviter les barrages et les contrôles systématiques des gendarmes, et aussi pour répondre à « une urgence humanitaire », affirment-elles.

« On a alors commencé à s’identifier les uns les autres », précise Elsa, pour savoir « qui aide et de qui il faut se méfier ».

À partir de ce moment-là, les relations avec les autorités ont été très tendues. Heidi nous raconte avoir été filmée, provoquée par un policier en civil.

Elle dit avoir subi intimidations et injures de la part de représentants de l’état : « Vous êtes des collabos » lui lance un jour l’un d’eux pendant un contrôle, « le trafic s’est bien mis en place ? » reprend-il, l’assimilant ainsi aux passeurs.

Visiblement zélé, il poursuit : « Je vous apporte la contravention chez vous ? ».

Pourtant, les Névachaises ne s’estiment pas hors la loi, elles disent agir simplement « en êtres humains ». Entre septembre et octobre 2017, la situation devient intenable.

L’armée est présente en permanence, « les hélicoptères tournaient dans le ciel, on était en état de guerre », ironise Heidi. Depuis, elles attendent elles aussi que les tensions s’apaisent, que le gouvernement et les élus prennent leurs responsabilités et viennent constater la réalité du terrain.

Heidi et Elsa abordent ensuite la grande générosité d’une des propriétaires de Névache : de début novembre à la mi-décembre, ce sont vingt-quatre migrants, des jeunes pour la plupart -dont beaucoup de mineurs isolés- qui furent nourris, logés et soignés dans une maison prêtée gracieusement par cette propriétaire, et tenue secrète hors du réseau des aidants.

« Bernard (Liger, le doyen des solidaires, ndr), et tous les autres étaient au courant […] on était à la maison toutes les deux, tous les jours ».

Une amie infirmière leur avait préparé une trousse de premiers secours pour les blessures liées à la traversée des montagnes, et Heidi complétait les soins avec son expérience de naturopathe. « Ils étaient au chaud, ensemble, et pouvaient joindre leurs proches » raconte Elsa.

L’un d’eux, en arrivant, est même resté émerveillé devant la bibliothèque : « Il a demandé s’il pouvait prendre un livre, on lui a répondu bien sûr, tu es là pour reprendre une vie normale ! ».

Mais il a fallu aussi apprendre à communiquer avec ces jeunes ne possédant pas les mêmes codes culturels : « Ils étaient parfois méfiants que deux femmes leur demandent s’ils étaient en bonne santé et proposent de laver leur linge » se souvient Heidi, « ils avaient peur de tomber dans un autre trafic […] mais au final, ils étaient tranquilles ».

Malgré la pudeur à parler de leur vie, ces Maliens, Gambiens, Guinéens, ont confié pour la plupart être passés par la Libye et ont témoigné aux deux amies, photos à l’appui, de l’horreur des tortures infligées là-bas par les marchands d’esclaves.

« On n’étaient pas prêtes à ça » annonce Heidi, émue, « certains ont l’âge de mes enfants ! ». Des enfants sur la route, pour certains depuis 2015. « Et vous imaginez ceux partis en 2017 ? 

Ce n’est que le début des flux migratoires » rappelle Elsa, lucide. Ces deux femmes courageuses nous enjoignant ainsi à faire face avec réalisme à une situation que nous ne pouvons plus ignorer.

Aussi, elles souhaitent aujourd’hui lancer un appel à la mobilisation de tous : aux propriétaires de résidences secondaires d’abord, qui accepteraient de mettre leur logement (qu’elles s’engagent à gérer et à entretenir) à disposition des migrants, et un appel aux dons ensuite, afin de pouvoir continuer à offrir des soins et de la nourriture à ces derniers [1].

Mais elles souhaitent également aller plus loin, tentent d’obtenir de la mairie qu’une maison soit mise à disposition au printemps, et pourquoi pas, un peu sur le modèle de ce qui s’est fait dans la vallée de la Roya dans les Alpes Maritimes, organiser un grand concert de solidarité aux migrants.

N’Vasy, Hassan, Nacer, Landing,… au fil de la conversation sont énumérés les prénoms de ceux qui les ont marqué de leur passage. C’est ainsi avec les yeux qui s’embrument qu’Heidi évoque un jeune garçon de 14 ans, Mori, qu’elle a accompagné jusqu’à Marseille et qui a eu quant à lui la chance de pouvoir poursuivre ses études à Toulon.

« Je n’ai pas pu faire autrement que de le suivre » reconnaît-elle, « il m’a dit t’es comme ma maman, c’est ce que je ressentais aussi ». Mais, malgré leur implication, elles refusent toutes deux de se laisser aller à trop d’émotion, car « comment continuer à être aidante, si l’on est tout le temps dans l’émotion ? » interroge Elsa, « On n’est pas là pour s’effondrer devant eux. »

Ainsi l’équilibre est ténu pour ces femmes entre l’implication au quotidien et la distance nécessaire face à ces migrants qui doivent continuer leur route.

Touchées par ces vies meurtries, elles avouent n’avoir pas toujours su maintenir cette distance : « Certains sont venus dans nos familles pour Noël » confient-elles.

Mais recevoir un migrant chez elles pour les fêtes fut aussi l’occasion d’une prise de conscience pour leurs enfants, preuve s’il en fallait que la confrontation avec les autres cultures ouvre l’esprit :

« Mes enfants n’ont pas voulu de cadeaux, ‘on a tout’ m’ont-ils dit » raconte avec fierté Heidi.

Malgré cette forte implication, elles ont décidé de jouer la transparence avec ces jeunes en mal de repères : la situation était clairement expliquée, il leur était annoncé dès le départ que l’accueil serait « sur du temps court ».

Le but étant, reprend Elsa, en nous livrant une belle définition de la solidarité, de n’être « ni devant, ni derrière, mais à côté d’eux. »

Fanny Genoux et Camille Pouyet

[1]. Les dons peuvent être adressés à la MJC de Briançon, à l’intention de Bernard Liger.

Lire les portraits de la série #HérosOrdinaires :

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Jean Gabriel (1/7)

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Olivier (2/7)

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Elsa & Heidi (3/7)

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Marcello (4/7)

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Émilie & Matthieu (5/7)

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Bruno (6/7)

Migrants : La solidarité des citoyens de Névache: Bernard (7/7)

Raconter, analyser, avancer.

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