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Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Émilie & Matthieu (5/7)

#HérosOrdinaires

Près de la frontière italienne, les habitants de Névache (Hautes-Alpes) redonnent un sens au mot solidarité en aidant des migrants. Melting Book vous propose de découvrir, à partir du lundi 26 mars, ces portraits réalisés par Fanny Genoux et Camille Pouyet. 

Dans le salon simple et lumineux de ce jeune couple de montagnards où nous sommes accueillis, Matthieu et Émilie, semblent -au premier abord- un peu gênés d’avoir à parler d’eux, de ce qu’ils ont vécu, de cette situation pourtant évoquée tant de fois devant les médias depuis quelques mois.

De la pudeur sans doute, l’humilité de citoyens qui estiment n’avoir fait que leur devoir.

D’emblée, comme presque tous les « Névachais solidaires » que nous avons rencontrés, ils insistent sur le fait qu’ils n’ont agi que dans une « logique humaniste », en aucun cas dans l’intention de faire de la politique.

S’ils se sont rassemblés plus fortement depuis l’automne entre citoyens « aidants » c’est avant tout pour s’organiser, pour faire face à l’urgence. Mais pour éviter les enjeux de pouvoir, les récupérations, et dans un souci de discrétion, leur réseau demeure officieux.

Pas d’association, pas de lien avec Tous migrants dont Briançon, à quelques encablures, compte de nombreux membres. « Pas de pression » nous dit Matthieu, « c’est l’esprit névachais ».

Il s’agit d’éviter au maximum les ennuis avec les autorités déjà trop présentes dans la vallée, d’éviter aussi, même si c’est déjà trop tard pour certains de leurs amis, que leur numéro de téléphone soit repéré et vendu aux migrants par les passeurs. 

Matthieu et Émilie ne se considèrent pas comme des militants. Ils ont recueilli, aidé des hommes et des femmes d’un autre continent, qui, ne connaissant rien au climat rude des montagnes en hiver, ont débarqué dans la vallée en jeans et baskets, alors que la température atteint régulièrement les -15°. Parfois, certains vont même jusqu’à retirer leurs chaussures, « pour éviter que leurs pieds ne gèlent. » déplore Émilie.

« Un jour, nous avons découvert quatre migrants dans un container à poubelle » poursuit Matthieu. Ils s’y cachaient par peur des gendarmes.

Il a fallu les convaincre de sortir pour les accompagner au chaud, tandis qu’une voisine leur a préparé un repas. Ici comme ailleurs il a fallu laver du linge, apporter à manger, permettre aux migrants de se reposer après l’épreuve difficile du col de l’Échelle, passage privilégié à la frontière italienne, où la gendarmerie patrouille régulièrement et où de nombreux migrants risquent leur vie.

La première rencontre avec un migrant pour Émilie, fut un choc.

« On savait qu’il y en avait, mais se retrouver face à eux, c’est différent ».

Un jour, dans la rue, en pleine conversation avec deux amies, elle aperçoit un homme qui attend seul, visiblement transi de froid. Un peu hésitante elle s’est tournée vers ses amies et toutes les trois ont immédiatement proposé leur aide, elles ne pouvaient tout simplement pas repartir comme si de rien n’était et « le laisser là par ce climat ».

Depuis l’automne, il a fallu descendre presque quotidiennement des migrants épuisés, parfois blessés, au grand refuge de Briançon, où une équipe d’environ deux cents bénévoles les attend pour prendre le relais, s’occupe des les accompagner dans leurs projets, et les aide à remplir les demandes d’asile.

Pour beaucoup,  ce « précieux sésame » leur permettra peut-être un jour de travailler, de faire des études et de se reconstruire une vie en France ou dans d’autres pays d’Europe, loin de l’horreur qu’ils ont vécue ailleurs.

C’est sur ce trajet entre Névache et Briançon que les « solidaires » sont arrêtés des dizaines de fois par semaine par la gendarmerie, qu’ils transportent ou non des migrants.

La situation est absurde : les migrants, une fois la frontière passée, ne peuvent -ni ne veulent évidemment- pas tous rester à Névache, ils ne peuvent pas non plus descendre dans le froid le long de la route jusqu’au refuge, c’est donc en toute logique que les Névachais les véhiculent.

Pourtant, les citoyens de la Clarée sont arrêtés comme des criminels en fuite. Ils sont obligés de ruser, de « s’arrêter entre huit et dix fois sur la route pour éviter les gendarmes ».

C’est une situation très éprouvante pour tout le monde, habitants comme migrants. Matthieu et Émilie aimeraient « en finir avec ce système hypocrite », ils demandent de ne plus être « obligés de jouer au chat et à la souris avec les autorités » quand ils transportent des migrants au refuge. 

Mais pourquoi une telle pression de la part des gendarmes ? Certains parmi eux prétendent que des Névachais aideraient les migrants à passer la frontière, se mettant ainsi dans l’illégalité. 

Pourtant tous ici sont clairs sur ce point : personne ne fait de maraudes, les migrants entrent sur le territoire français de leur propre chef, ils sont simplement recueillis quand ils sollicitent l’aide des citoyens, où lorsqu’ils se retrouvent blessés en montagne. 

C’est avec émotion qu’Émilie revient sur les souvenirs de ses premières rencontres avec les migrants, car c’est toujours « une belle aventure humaine » : « Certains sont intimidés au départ » nous dit-elle, « ils ont besoin d’être rassurés, après tout ce qu’ils ont vécu […] Mais ensuite on les laisse se débrouiller », ils sont autonomes.

L’enjeu est de ne pas trop s’attacher à ces vies douloureuses qui traversent furtivement la vallée.

« On ne garde pas contact, pour se préserver émotionnellement » nous avoue le jeune couple.

« Malgré tout, on cherche à savoir, on s’angoisse ». Si les migrants finissent par quitter Névache, l’esprit de solidarité demeure lui, l’expérience humaine a tissé des liens.

Entre citoyens « aidants » « il y a un fil qui nous relie » déclare Matthieu, sourire aux lèvres.

Il nous raconte qu’à Névache, même des habitants « catégorisés racistes » ont fini par les appeler pour qu’ils viennent en aide aux migrants, « comme quoi, même dans la flamme du FN, il y a de l’espoir ».

Fanny Genoux et Camille Pouyet

Lire les portraits de la série #HérosOrdinaires :

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Jean Gabriel (1/7)

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Olivier (2/7)

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Elsa & Heidi (3/7)

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Marcello (4/7)

Migrants: La solidarité des citoyens de Névache: Bruno (6/7)

Migrants : La solidarité des citoyens de Névache: Bernard (7/7)

Raconter, analyser, avancer.

Comments (3)

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    nivobode

    votre modestie vous honore tout autant que votre démarche humanitaire!

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    chantoune

    Suite à la lecture de vos différents articles sur les migrants à Névache, pouvez vous d’indiquer la différence entre ces personnes et les maraudeurs qui pour moi aussi font des de très bonnes actions.

    Merci

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    camille pouyet

    Bonjour Chantoune,

    Les citoyens solidaires de Névache se distinguent des mauraudeurs en ce sens qu’ils ne vont pas à la recherche de migrants pour les aider à passer la frontière depuis l’Italie. Ils les aident en revanche une fois qu’ils sont entrés sur le territoire français et qu’ils ont besoin d’une assistance.

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