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#Édito. Belattar VS Zemmour: Parler pour ne rien dire


Burlesque. Ridicule. Inintéressant. Pathétique. 
Dangereux. Les adjectifs ne manquent pas pour qualifier la teneur des échanges entre monsieur Yassine Belattar et monsieur Éric Zemmour. Alors, c’est ça « nos pros »… J’ai hésité avant d’écrire cet édito me disant que j’avais mieux à faire que de perdre un temps précieux à m’indigner devant cet énième débat. Dans la Cour de la polémique, les bouffons sont rois.

Malgré tout, je suis trop désabusée de voir qu’on ne cesse de donner la parole à un intellectuel moribond et à un comique macronique. Un débat signé Cnews : « Qu’est-ce qu’être Français aujourd’hui ? »…


Avec, tenez-vous bien… toujours les mêmes têtes. Un partisan de l’assimilation déjà condamné en justice pour incitation à la haine et un clown « ingérable », actuellement entendu par la police pour « menaces de mort, harcèlement et allusions sexuelles » dont on ne sait vraiment d’où ils sortent, qui saisissent des micros (que d’aucuns profiteurs avides de lumière leur tendent.). 


L’un islamophobe de renommée nationale, l’autre autoautoproclamé représentant des musulmans de France. 



Ces mécanismes sont justement ceux qui mènent à des tragédies


On nage littéralement en plein délire. Irresponsable. Jusqu’à quand va-t-on constater et devoir s’indigner, une fois de plus, qu’on instrumentalise (encore) un drame, un attentat et la mort d’innocents (ici Nouvelle-Zélande) pour faire la Une de l’actualité ? Qu’on crache délibérément sur la mémoire des morts et de leurs familles pour un débat et une polémique ?

Malgré l’habitude, je bouillonne intérieurement. Parce que nous n’avons pas choisi ce métier pour voir de telles séquences de télévision. En tant que citoyenne, je ne peux accepter qu’on instrumentalise les peurs qu’on asphyxie la société de ce genre de pollution. Ces mécanismes sont justement ceux qui mènent à des tragédies. Et chacun doit y prendre sa part de responsabilité.



Le seul et unique moyen pour qu’on serve à un client de la qualité, c’est qu’il l’exige pour lui-même


Alors j’écris. J’écris finalement dans l’espoir d’être entendue et de proposer une solution. Simple. Mais ô combien efficace. Passer son chemin. Éteindre sa télévision. Ne pas partager les contenus de ces médias. Ne pas commenter. Ne pas alimenter la polémique. Ne pas retweeter. Ne pas liker. Ne pas « Grrr ». Rien. Devant l’indifférence, le troubadour va jouer ailleurs.

Boycotter les chaînes et émissions de télévision et médias qui ne sont pas à la hauteur me semble être, le seul moyen pour s’en prémunir. Et le seul et unique moyen pour qu’on serve à un client de la qualité, c’est qu’il l’exige déjà pour lui-même.


Si depuis l’avènement des chaînes d’information en continu, on ne cesse de voir pulluler des polémistes en tout genre, il y a bien une raison logique. L’audience.

La semaine dernière, lors d’un forum des métiers où je présentais le métier de journaliste, un homme, la quarantaine, m’a posé deux questions pertinentes que j’aimerais partager avec vous. 

« Qui décide des sujets traités au journal télé ? Les propriétaires des médias contrôlent-ils les journalistes ou ces derniers sont-ils libres ? » 


Cela dépend du média. Mais une chose est claire et bien connue de la sphère médiatique. On ne fait pas d’argent avec la presse.

Acheter un titre de presse, une chaîne, un média, une radio, un site d’info, c’est acheter de l’influence. C’est prendre le pouvoir de porter des sujets dans l’opinion publique. Et d’en étouffer d’autres. Alors mes réponses furent longues : passant de l’explication d’une ligne éditoriale, au contexte de concentration des médias en France et à la déontologie.

Je citerai Albert Camus (qui s’étoufferait d’ailleurs en voyant la hauteur des débats en France, en 2019) : 

« Il n’y a pas de vie sans dialogue. Et sur la plus grande partie du monde, le dialogue est remplacé aujourd’hui par la polémique. Le 20e siècle est le siècle de la polémique et de l’insulte (…) Des milliers de voix jour et nuit, poursuivant chacune de son côté un tumultueux monologue, déversent sur les peuples un torrent de paroles mystificatrices, attaques, défenses, exaltations. » 

Albert Camus, Actuelles I, 1948, p.258.


Tous les médias ne se valent pas. Et on a les médias que l’on mérite. Vous me direz : qu’a donc fait la France pour mériter ces « élites » ? Qu’ont fait les Français pour mériter qu’on leur serve cette soupe médiatique populaire du café du coin (et encore, on y entend des arguments plus constructifs) ?

Rien. Sauf peut-être avoir trop pris pour acquis ses libertés. Notamment, celle d’informer pour les professionnels de l’information. Les nouvelles technologies, elles aussi, ont joué un rôle majeur. Celle de l’habitude de la gratuité. Et « quand c’est gratuit, eh bien, c’est vous le produit », disent les grands du marketing.

Cette règle s’applique aussi pour l’information. Sur les réseaux sociaux, et bien oui : c’est vous le produit. Quand on retweete les punchlines d’un Yassine Belattar, d’un Éric Zemmour, d’un Pascal Praud, d’une star du PAF. Eh bien, oui : c’est vous le produit.

Après tout chacun son business modèle… Et bien sûr, tout ceci me laisserai dans l’indifférence la plus totale si des idées nauséabondes n’imprégnaient pas les cerveaux de mes semblables, humains, citoyens, jeunes, seniors, ouvriers, cadres de façon méticuleuse et insidieuse. 

Je lance donc ma bouteille à la mer. Je fais ma part du colibri. Comment ? En tentant de sensibiliser mes interlocuteurs au monde des médias, en encourageant chacun à activer son esprit critique ET à prendre ses responsabilités dans la diffusion de l’information. 

Rédactrice en chef de MeltingBook, formatrice éducation aux médias, digital & dangers du web

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