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#Fusillade à Beaune : « Il ne faut pas laisser la haine s’installer »

Plus d’une semaine après la fusillade de Beaune, MeltingBook a pu s’entretenir avec une habitante du quartier Saint-Jacques. Elle était sur place la nuit des faits. Encore en état de choc émotionnel, elle témoigne de l’attaque afin que justice soit rendue.

Les habitants du quartier refusent la banalisation de ce crime. Une conférence de presse aura lieu, vendredi 10 août, à 18 heures, dans le quartier par un des avocats des victimes, suivie d’un rassemblement solidaire et de soutien.

 

S.H. : Que s’est-il passé cette nuit-là ?

 

N. : Je suis descendue de chez moi lorsqu’il y a eu la première attaque à la voiture. J’ai entendu, des crissement de pneus, du monde en train d’hurler, un gros “boom” quand la voiture a foncé sur les jeunes et a percuté le blanc. Les jeunes ont tous eu le même discours : “ils nous ont traité de sales bougnoules”, comme cela a déjà été dit dans la presse.

Après cela je suis remontée chez moi (j’habite juste au-dessus du lieu), je me suis dit : “cela va aller, cela va se calmer.” J’ai essayé de me rendormir tant bien que mal. Et à la deuxième attaque, je suis vite ressortie. Je suis arrivée avant la police et là, j’ai vécu le drame avec eux. J’ai rassuré, j’ai soigné, j’ai fait ce que j’ai pu…

 

S.H. : Vous êtes en contact direct avec ces jeunes : quel est leur état de santé à ce jour ?

 

N. : Il y a eu 7 blessés, dont 2 grièvement. Ces deux-là sont encore hospitalisés, car des organes vitaux ont été touchés par les balles : il a quand même poumons, foie, reins, intestins.  

Il leur faudra du temps pour se reconstruire. Les victimes sont aussi révoltées. Ils ne seront pas tranquilles tant que les coupables ne sont pas arrêtés.

Il y a les douleurs, ils sont encore choqués. Les familles se retrouvent à côté, et démunies.

Une jeune fille parmi les victimes n’en dort plus. Plus d’une semaine est passée et aucune cellule d’aide psychologique n’a été proposée.

On ne se remet pas comme ça. Il ne faut pas laisser traîner des choses comme cela.

 

S.H. : Avez-vous été entendue par la police ou les enquêteurs dans le cadre de l’enquête ?

N. : Pas du tout.

 

S.H. : Vous étiez tout de même un témoin sur place…

N. : Un policier demandait des informations dans le quartier. Je lui ai laissé mes coordonnées. Mais personne n’a essayé de me joindre.

 

S.H. : Vous avez décidé de créer une page Facebook de soutien aux victimes. Elle compte plus de 3700 suivis…

N. : Lire de messages haineux sur les réseaux sociaux au sujet des victimes, ça m’a rendue malade.

C’est déjà compliqué de se remettre de ce qui est passé. Nous sommes tous sous le choc. Mais de lire, en plus, des propos racistes ou bien, qui n’ont rien à voir avec les faits, cela a été terrible.

Puis, je me suis dit, il y a quand même des gens biens qu’on peut réunir… Cette page, c’est pour que les victimes voient qu’ils ne sont pas seules et qu’il y a du monde avec eux.

 

S.H. : Vous attendiez-vous à davantage de couverture médiatique et de soutien politique dans cette affaire ?

N. : Au bout de 3-4 jours, voilà on n’en parle plus, on enlève les traces, on retire le banc. On les laisse seuls gérer leur choc, gérer leur colère. Je ne trouve pas cela normal.

 

Emplacement du banc retiré quelques jours après l’attaque, quartier Saint-Jacques. 

 

C’est aussi le but de la page : il faut en parler, il faut dire la réalité. Faire reconnaître la vérité. Il ne faut pas laisser les choses à l’abandon aussi facilement.

Ce qui s’est passé n’est pas normal. Il faut en parler le plus possible. Il ne faut pas laisser la haine s’installer comme ça dans le quartier. Tout le monde a peur. C’est affolant.

 

>> LIRE AUSSI : La fusillade de Beaune a t-elle souffert d’un manque de médiatisation ?

 

S.H. : Justement, quelle atmosphère ressentez-vous aujourd’hui dans le quartier ?

 

N. : Personnellement, j’ai grandi ici. Cela fait x années que j’y habite. On sent que les habitants sont perdus, les gens sont choqués.

J’ai eu des messages qui ne veulent plus passer par là. Le kiosque où j’ai gardé l’une des victimes éveillée, je ne le regarderai plus jamais de la même façon.

Les parents ont peur pour leurs enfants. Il y a toujours eu une ambiance sereine, malgré toute les différences ethniques qu’il peut y avoir ici.

Nous, on vit dans une cage à poules. Il fait chaud, ils ont entre 20 et 25 ans, ils sont en vacances, c’est pourquoi ils étaient dehors.

Ce ne sont pas du tout des délinquants*, et ça tout le monde le sait. (*ndlr : comme cela a pu être dit sur les réseaux sociaux).

 

S.H. : Vous souhaitez organiser une action collective ?

 

N. : Nous voudrions organiser un rassemblement avec les familles, les soutiens, les habitants. Nous avons déjà contacté la préfecture afin d’organiser au mieux cela rapidement. Une conférence de presse aura lieu, vendredi 10 août, à 18 heures, dans le quartier Saint-Jacques par un des avocats des victimes, suivi d’un rassemblement solidaire et de soutien.

 

 

Propos recueillis par Sarah Hamdi

 

[Mise à jour le 11 août 2018]

Deux auteurs présumés de la fusillade interpellés :

Le parquet de Dijon annonce par un communiqué l’arrestation de deux auteurs présumés de la fusillade survenue à Beaune, le 10 août 2018.

Les deux individus sont en garde à vue pour tentative d’assassinat, violences aggravées par trois circonstances notamment la circonstance que les faits ont été commis en raison de l’appartenance à une soit-disant race, religion ou ethnie, réelle ou supposée, injures publiques à caractère racial,menaces de mort à caractère racial, et, pour le second, tentative d’homicide volontaire sur personne dépositaire de la force publique.

Communiqué du procureur de la République du 10 août 2018

 

 

Rédactrice en chef de MeltingBook, formatrice éducation aux médias, digital & dangers du web

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