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Laïcité(s) : Faut-il changer la loi de 1905 ?

[#Série d’analyses] 

MeltingBook publie en exclusivité une série de 10 analyses tirées du livre : Abécédaire du jihadisme post-daesh : Analyses Témoignages Perspectives (2018). Un ouvrage collectif sous la direction de Moussa Khedimellah.

La cinquième analyse : celle de Chloé Mathieu, docteur en droit public. Elle disséque le principe de laïcité à la lumière du contexte français. 

 

Tantôt présentée comme un glaive, tantôt présentée comme un bouclier, la laïcité aujourd’hui

divise toujours autant que lors de l’adoption de la loi de 1905 (1). Ainsi qu’il ressort de ses deux

premiers articles, la laïcité est un principe de séparation entre le politique et le religieux, entre

l’Etat et les églises, qui emporte trois conséquences complémentaires. A l’égard des citoyens

français, la laïcité assure la liberté de culte et de conscience (celle, donc, de croire ou de ne

pas croire) – sous réserve du respect de l’ordre public (2) –, y compris dans l’espace public, sans

qu’aucune sorte de discrimination ne puisse être mise en œuvre par l’Etat en raison de leurs

croyances.

 

>> À LIRE SUR MELTINGBOOK :

Les autres analyses du livre collectif : Abécédaire du jihadisme post-daesh : Analyses Témoignages Perspectives (2018), sous la direction de Moussa Khedimellah 

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Laïcité(s) : Faut-il changer la loi de 1905 ?

A l’égard de l’Etat ensuite, la laïcité emporte tant une émancipation vis-à-vis de la

religion qu’un devoir, celui d’être neutre et impartial vis-à-vis de toute croyance religieuse.

Enfin, la laïcité postule le principe d’autonomie des Eglises vis-à-vis de l’Etat et trace une

frontière nette entre les sphères d’actions politique et religieuse, obligeant les Eglises à se

retirer de la première pour se cantonner à la seconde.

 

Brève histoire de la laïcité en France

 

Avant même la loi de 1905, c’est le Directoire qui, le premier, met fin à la confusion entre les

ordres politiques et religieux sur laquelle reposait l’Ancien Régime. La Constitution de l’An

III prévoit en effet que « Nul ne peut être empêché d’exercer, en se conformant aux lois, le

culte qu’il a choisi. Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d’un lieu de culte. La

République n’en salarie aucun » (3). Le Concordat, conclu en 1801 entre Napoléon et le Vatican,

revient sur cette séparation de manière nuancée : si le catholicisme n’est plus reconnu comme

la religion d’Etat (4), le Concordat reconnaît quatre cultes (catholique, réformé, luthérien,

israélite) qui étaient alors organisés en services publics du culte, et l’Etat avait à sa charge le

traitement des ministres du culte et participait à leur désignation. Ce n’est qu’en 1905 que la

loi instaure, durablement, la séparation entre les Eglises et l’Etat, principe qui figure

aujourd’hui dans la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque,

démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction

d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » (5). Les cultes cessent ainsi

d’être des institutions publiques et relèvent du droit privé, en étant remplacés par des

associations cultuelles.

Or, en se séparant du religieux, dans lequel il puisait auparavant sa légitimité et son autorité,

l’Etat se doit de se réinventer afin de pallier le défaut de légitimité – et de transcendance – qui

résulte de sa séparation d’avec la religion dominante d’alors. Et, bien que le XXe siècle ait

montré que d’autres doctrines pouvaient, avec les conséquences que l’on connaît, remplir le

même rôle que la religion, le « désenchantement du monde » brillamment décrit par Max

Weber plonge la France et, plus généralement, les Etats européens dans une quête de

légitimité qui, aujourd’hui encore, n’apparaît pas résolue, faute de vision fédératrice de la

communauté nationale.

 

Des quelques dérogations législatives à la séparation des Eglises et de l’Etat : la question du financement des cultes et lieux de culte

 

Depuis que la loi de 1905 a déplacé les Eglises et les cultes de la sphère publique à la sphère

privée, les associations cultuelles ne peuvent plus recevoir de subventions publiques, qu’elles

soient directes ou indirectes. Ainsi, pour faire face aux dépenses nécessaires à leur 

fonctionnement, les Eglises peuvent – et doivent – donc avoir recours à des ressources et

financements privés issus de dons, de cotisations, de rétributions des cérémonies, … Des

dérogations ont toutefois été consenties (6).

Certaines l’ont été dans le sillon de la loi de Séparation. Ainsi, l’Etat et les collectivités

locales demeurent propriétaires d’un certain nombre d’édifices religieux, bâtis avant 1905 ou

reconstruits après l’une des deux guerres mondiales, lesquels sont alors mis gratuitement à la

disposition des diocèses, conformément à la loi du 2 janvier 1907 concernant l’exercice public

des cultes. Pour ces bâtiments, qui relèvent du domaine public, les travaux nécessaires à

l’entretien et à la salubrité sont donc pris en charge, financièrement, par l’Etat et les

collectivités qui en sont les propriétaires, constituant par là même un véritable avantage

financier pour la communauté catholique, le plus souvent justifié par la nécessité d’entretenir

et de préserver le « patrimoine culturel » de la France. Par ailleurs, ainsi que le prévoit la loi

de 1905, l’Etat continue également d’assurer les dépenses relatives à « des services

d’aumôneries et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics

tels que les lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons », lorsqu’il s’agit

d’établissements publics.

Plus récemment, le législateur a adopté un certain nombre de dispositions bénéficiant à

l’ensemble des cultes. Ainsi, les établissements d’enseignement privé peuvent bénéficier

d’aides publiques lorsqu’ils passent un contrat avec l’Etat. Les entreprises et particuliers

réalisant un don auprès d’une association cultuelle déclarée peuvent bénéficier d’une

déduction d’impôt. Les édifices affectés au culte sont également exonérés de la taxe

d’habitation et de la taxe foncière sur le bâti lorsqu’ils appartiennent à l’Etat, à une

collectivité locale ou à des associations cultuelles. Enfin, l’Etat a la possibilité d’accorder sa 

garantie à des emprunts émis par les associations cultuelles et les communes accordent de

plus en plus de baux emphytéotiques à ces dernières, en échange d’un loyer symbolique.

Ainsi, s’agissant du financement des cultes et lieux de culte, la France se distingue de la

plupart de ses homologues européens. Car au-delà de la participation indirecte à ce

financement, par le biais de subventions, qu’assure également la France, les Etats européens

ont quant à eux fait le choix de participer directement au financement des communautés

religieuses. C’est le cas, par exemple, en Belgique, où la Constitution prévoit que la

rémunération des ministres du culte est assurée par l’Etat, qui prend également en charge les

pensions de retraite de ces derniers, en raison de leur « utilité sociale ». En Espagne et en

Italie, il a été prévu que les contribuables ont la possibilité d’affecter une partie de leur impôt

à l’Eglise catholique, en Espagne, ou à toute communauté religieuse ayant signé un accord

avec l’Etat en Italie, de manière à ce que les cultes ne soient financés que par les

contribuables qui le désirent, et non plus par la totalité d’entre eux. Enfin, l’Allemagne et le

Danemark ont notamment mis en place un impôt cultuel, et les Eglises – ou certaines d’entre

elles – reçoivent également des subventions directes.

 

Le choix de la France en matière de non-financement des lieux de culte, résultant

essentiellement de la loi de 1905, pose, de facto, la question du financement du culte

musulman. En effet, l’interdiction pour les personnes publiques de financer les lieux de cultes

en dehors de certaines exceptions bénéficiant, pour leur quasi-totalité, aux édifices chrétiens,

conduit les pratiquants du culte musulman à devoir financer eux-mêmes les mosquées. Or, au

vu du coût d’entretien et, surtout, de construction de tels bâtiments, les fonds des associations

et le produit des quêtes sont souvent insuffisants. Il est donc souvent fait appel à des mécènes

étrangers pour réaliser de tels investissements, ce qui ne va pas sans entraîner un certain

nombre de problématiques, au premier rang desquelles l’origine et la traçabilité des

financements, en grande partie due au fait que les associations qui recueillent les dons –

publics ou privés – ne sont pas soumises à l’obligation de rendre publics leurs comptes.

Plusieurs Etats étrangers ont toutefois accepté de rendre publics les dons réalisés en vue de la

construction de mosquées sur le sol français. Ainsi, à titre d’exemple, entre 2011 et 2016,

l’Arabie Saoudite a dépensé plus de 3,7 millions d’euros pour financer la construction de huit

mosquées en France. Si l’origine des fonds ne pose, en elle-même, aucun problème, il n’en va

pas de même pour l’influence potentielle des investisseurs sur le fonctionnement de la

mosquée, le choix des imams et, partant, des prêches. Si davantage de transparence est

évidemment souhaitable, l’interdiction des financements étrangers est difficilement

envisageable, précisément du fait de la loi de 1905 et du principe de laïcité tel qu’il en

découle.

La laïcité française : un principe, deux conceptions

 

Glaive ou bouclier, laïcité « ouverte » ou laïcité « fermée », les expressions sont nombreuses

et témoignent de la pluralité et de l’antagonisme des conceptions de la laïcité et des

présupposés sur lesquels se fondent ceux qui l’invoquent.

C’était déjà le cas au XXe siècle, durant lequel se sont opposés les tenants de la « laïcité-

séparation » et les tenants de la « laïcité-neutralité ». Pour les premiers, la religion est à

l’origine d’une vision obscurantiste de la société et de la persécution des communautés

minoritaires. La séparation des églises et de l’Etat est donc l’occasion de reléguer ces vices

consubstantiels à la religion au passé ; elle signe le « début de la fin » de la religion,

indispensable pour permettre à l’intérêt général de ce construire. Pour les tenants de la laïcité-

neutralité, l’obscurantisme et les persécutions sont contingents et doivent être distingués de la

dimension spirituelle de la religion. La séparation entre les églises et l’Etat est l’occasion pour

ce dernier de renouer avec la transcendance en se positionnant en arbitre neutre d’un point de

vue religieux, et en se donnant pour mission de préserver la liberté de croyance et de s’assurer

que les religions ne réinvestissent pas la sphère politique dont elles sont désormais exclues.

Aujourd’hui, l’opposition entre ces deux conceptions continue d’agiter le débat public à

l’occasion des débats relatifs au port de certains signes religieux ostentatoires ou à la

manifestation de l’appartenance à une religion dans l’espace public : port du voile à

l’université ou par les mères accompagnant leurs enfants lors de sorties scolaires, port du

burkini sur les plages, menus halal ou casher dans les établissements scolaires, installation de

crèches dans les établissements publics, prières dans la rue… Pour les tenants de la laïcité

« ouverte », héritière de la « laïcité-neutralité », l’Etat doit se contenter de s’assurer de la

neutralité de ceux qui représentent – de près ou de loin – le pouvoir politique (élus,

administrations publiques et entreprises bénéficiant d’une délégation de service public). En

revanche, pour les tenants de la laïcité « fermée », héritiers des « laïquards », l’Etat doit

s’employer, en vertu du principe de laïcité, à faire de l’espace public un espace neutre en

proscrivant toute manifestation d’appartenance religieuse.

C’est donc, avant tout, le critère d’applicabilité du devoir de neutralité religieuse qui

différencie ces deux conceptions de la laïcité : les tenants de la laïcité ouverte estiment que le

devoir de neutralité s’applique aux représentants du pouvoir politique, laissant les citoyens

libres d’exprimer et de manifester leurs croyances dans l’espace public – sous réserve du

respect de l’ordre public. Le principal reproche adressé aux tenants de cette conception réside

dans sa complaisance à l’égard de certaines manifestations d’appartenance religieuse. Pour les

tenants de la laïcité « fermée », le devoir de neutralité ne s’applique plus à une catégorie de

personnes (les représentants du pouvoir politique), mais à un lieu figuré, celui de l’espace

public, au sein duquel quiconque doit apparaître neutre en s’abstenant de manifester et, a

fortiori, de faire valoir ses croyances religieuses. A cette conception, il est reproché de ne

retenir de la loi de 1905 et de la laïcité que le principe de neutralité, et ce au détriment de la

liberté de conscience et du droit d’exercer librement son culte.

 

Islam et réactivation de l’opposition entre les deux conceptions de la laïcité

 

Un temps disparue, la visibilité de l’opposition entre les conceptions de la laïcité « fermée » et

« ouverte » a été réactivée, en France, en grande partie sous l’effet de l’augmentation du

nombre de musulmans à la fin du XXe siècle et, plus précisément, de l’augmentation

supposée du nombre de musulmans portant des signes ostentatoires de leur appartenance à

l’islam. Le législateur et le pouvoir réglementaire sont alors intervenus à plusieurs reprises, en

s’appuyant plus ou moins ouvertement sur le principe de laïcité, afin de limiter le port de

certains signes religieux ostentatoires dans les écoles, collèges et lycées publics (en 20047 et

en 20128), au sein de la fonction publique (en 20079), dans l’espace public (en 201010).

Les débats suscités par l’une des dispositions du projet de loi El Khomri, adopté en 2016,

illustrent les difficultés et, parfois, le malaise que suscitent les questions relatives à la laïcité et

à la manifestation de ses convictions religieuses, en l’espèce au sein des entreprises. Dans sa

version originelle, le projet de loi présenté par le Gouvernement prévoyait que seuls l’exercice

d’autres libertés ou les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise peuvent justifier des

limitations au principe que constitue la « liberté du salarié de manifester ses convictions, y

compris religieuses » au sein de l’entreprise (11). Or, et bien que cette disposition se limite à

rappeler le droit actuel, elle a suscité bon nombre de réactions de la part des parlementaires,

lesquelles peuvent être résumées par cette intervention de Pierre Burban, secrétaire général de 

l’UPA durant les débats en commission : « En ce qui concerne la laïcité, l’article 1er ne fait

effectivement que reprendre la jurisprudence actuelle. Mais voir cela écrit noir sur blanc, c’est

tout de même autre chose, et cela suscite beaucoup d’inquiétudes »1213.

A l’origine de ces « inquiétudes » évoquées par Pierre Burban, voire, parfois, d’une certaine

hostilité, se trouve la multiplication des manifestations d’appartenance à une religion

relativement nouvelle en France, l’islam. Car, pour certains, le voile, le niqab (voile intégral)

ou, plus récemment, le burkini sont autant de manifestations ostentatoires de l’appartenance à

la religion musulmane qui nécessiteraient de revenir – si tant est qu’elle ait déjà abandonnée –

à une conception de la laïcité fermée, réactivant ainsi le clivage entre les deux conceptions de

la laïcité. Toutefois, du fait de la difficulté de lutter contre le port de ces signes religieux dans

l’espace public sur cette seule base, précisément en raison de l’absence d’univocité de la

notion de laïcité, d’autres principes juridiques sont fréquemment invoqués : défense de la

liberté et de la dignité de la femme, risques d’atteinte à la sécurité et à l’ordre publics, respect

du principe d’égalité, etc.

 

Les principes de laïcité et de neutralité, sources potentielles de discrimination ?

 

Le durcissement de l’exigence de laïcité et de neutralité ne se limite aujourd’hui pas à la

sphère publique. En effet, les contentieux relatifs au port des signes religieux entre employés

et employeurs se multiplient. Or, pour certains, la tendance normative croissante à « durcir »

l’exigence de neutralité dans les espaces public et privés, bien qu’elle s’appuie notamment sur

la laïcité, heurte un autre principe, celui de non-discrimination, dans la mesure où elle viserait

plus spécifiquement une religion, l’islam. La Cour de justice de l’Union européenne, dans une

affaire récente, résume bien la difficulté à trancher entre l’une et l’autre de ces positions. En 

effet, les juges de Luxembourg (14) estiment que le port visible d’un signe religieux sur le lieu de

travail peut être proscrit par le règlement intérieur d’une entreprise sans que cela constitue une

discrimination directe (15). Ils précisent, en revanche, qu’une telle règle interne d’une entreprise

privée est susceptible de constituer une discrimination indirecte s’il est établi que l’obligation

en apparence neutre qu’elle prévoit entraîne, en fait, un désavantage particulier pour les

personnes adhérant à une religion particulière, sauf si elle est objectivement justifiée par un

objectif légitime, comme la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients,

d’une politique de neutralité religieuse, et que les moyens de réaliser cet objectif sont

appropriés et nécessaires ». Dans une décision en date du même jour (16), la Cour rappelait

également que, dans l’hypothèse où le règlement intérieur d’une entreprise ne le prévoit pas,

l’employeur ne peut interdire à une salariée de porter le foulard islamique que lorsque cela est

justifiée par la nature de la tâche à accomplir et répond à une exigence professionnelle

essentielle et déterminante. Ce faisant, elle a précisé que la prise en compte des souhaits d’un

client ne répond pas à ces conditions.

 

La nécessité de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne

ainsi que les réponses de ladite Cour illustrent les difficultés qu’est susceptible de poser

l’application concrète du principe de laïcité ou sa déclinaison hors l’espace public, le principe

de neutralité. La notion de discrimination indirecte, notamment, témoigne de ce que, sous les

apparences d’une exigence de neutralité, la laïcité peut également, selon les intentions de celui

qui l’exige et les effets qu’elle engendre, créer une différence de traitement entre croyants ou

entre croyants et non-croyants. 

 

La laïcité, arme au service de l’islam politique ?

 

A côté des accusations consistant à faire de la laïcité – dans sa conception « fermée » – un

facteur de discrimination à l’égard de la communauté musulmane, certains estiment au

contraire que la laïcité est instrumentalisée par certaines communautés et, plus

spécifiquement, par les tenants d’un islam politique. Plus précisément, ces derniers

s’appuieraient d’abord sur la laïcité pour encourager la communauté musulmane à manifester

sa foi de manière toujours plus ostensible, quitte à faire du prosélytisme religieux. Ils

s’appuieraient également sur les limitations et interdictions posées par le principe de laïcité –

notamment la limitation tenant au respect de l’ordre public – pour exacerber les sentiments

d’exclusion et d’oppression sociétales. La revendication de l’appartenance à une communauté

– religieuse en l’occurrence – entraînerait une sorte d’émulation autour de croyances perçues

comme menacées par la soumission aux valeurs de la République.

Ceux qui adoptent cette position souhaitent alors, le plus souvent, modifier les normes

d’application du principe de laïcité, pour aller vers une conception davantage « fermée », ou

davantage hostile à toute manifestation d’appartenance à une communauté religieuse et, plus

spécifiquement, à la communauté musulmane. Le durcissement de la laïcité contribuerait ainsi

à lutter contre un extrémisme religieux insidieux, en interdisant de manière plus ou moins

largement tout port de signe religieux, et tout refus des pouvoirs publics d’aller dans ce sens

renforcerait la détermination des communautaristes.

Pour une laïcité partagée : renouer avec les racines humanistes

 

La laïcité n’est pas, loin s’en faut, un principe qui suscite l’unanimité en France, et si

consensus sur celle-ci il y a eu, il a été de courte durée. Dans un certain sens, cette tension qui

entoure la compréhension et la détermination du contenu du principe de laïcité est

compréhensible, dans la mesure où il s’agit d’un principe qui soulève bon nombre de

questions tenant au vivre ensemble, et ce dans l’ensemble des champs de l’espace et de la vie

publics, dont certains sont symboliquement forts : école (menus à la cantine, accompagnants

scolaires, université, …), services publics, … La laïcité pose également un certain nombre de

questions qui concernent l’ensemble de corps social, à l’instar des limites de la tolérance, de

la liberté de conscience, de la nécessité et des moyens de préserver l’histoire et la culture

françaises ou encore de l’intégration.

Mais, ainsi que l’a rappelé l’Observatoire de la laïcité en 2016 (17), la laïcité est avant tout une

liberté et une garantie du principe d’égalité. Elle est la liberté de croire ou de ne pas croire, et

entend garantir l’absence de discriminations fondées sur les croyances ou pratiques

philosophiques et religieuses. Ainsi, la laïcité est et demeure, intrinsèquement, un principe

humaniste. Il correspond parfaitement, de ce fait, à la devise de la République française

« Liberté, Égalité, Fraternité ».

 

Les difficultés ne découlent donc pas tant du principe de laïcité que de ses applications et de

ses interprétations. Parce-que ces dernières supposent de parvenir à trier ce qui relève de la

libre expression de ses convictions et ce qui relève du prosélytisme, entre ce qui relève de

l’exigence légitime de neutralité et ce qui constitue une discrimination, ou encore entre ce qui

traduit un manque de tolérance et ce qui suggère une provocation et un encouragement au

communautarisme. La définition des implications du principe de laïcité nécessite ainsi de

trouver un équilibre et, partant, d’arbitrer entre les différentes conceptions de la laïcité, dont

chacune est basée sur une appréhension particulière de la religion dans son ensemble, de

chacune des religions en propre, du vivre ensemble et de la tolérance. Or, un nouvel équilibre,

différent de celui établi par les textes de lois ou les règlements postérieurs à la loi de 1905, ne

saurait être trouvé tant que la société française n’a pas mené à son terme l’exercice 

d’introspection nécessaire à son apaisement, sans lequel les conditions du vivre ensemble ne

peuvent être réunies.

 

La loi de 1905, un socle immuable

 

En l’état, la loi de 1905 ne constitue que – mais c’est déjà beaucoup – le socle du principe de

laïcité. Elle prévoit que les Français sont libres de croire ou de ne pas croire et que, lorsqu’ils

croient, ils sont libres de manifester leur croyance, à partir du moment où leurs pratiques ne

viennent pas porter atteinte à l’ordre public. Parallèlement, elle prévoit que l’Etat doit

demeurer neutre et impartial à l’égard des « enfants de la République », et ce quelles que

soient leurs croyances. La loi de 1905 doit donc demeurer le socle immuable qu’elle incarne

aujourd’hui pour le principe de laïcité.

 

Par Chloé Mathieu

 

Photo de Une : © Concours de dessin Cité Scolaire de Nay, 2016.

NOTES :

(1) Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat.

(2) Cette limite, mentionnée par la loi de 1905, apparaît dès 1789 dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen (article 10).

(3) Article 354 de la Constitution de l’An III.

(4) Le catholicisme redevient, temporairement, la religion d’Etat entre 1814 et 1830.

(5) Alinéa 1 de l’article 1er de la Constitution de 1958. La Constitution de 1946 prévoyait également, dans son préambule, que « le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».

(6) Ne sont évoquées ici que les principales dérogations, certains territoires, qu’il s’agisse de territoires outre-mer ou de territoires métropolitains spécifiques, à savoir les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, bénéficiant de dérogations supplémentaires.

(7) Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.

(8) Voir notamment la circulaire 2012-056, dite « circulaire Chatel », du 27 mars 2012.

(9) Circulaire n° 5209/SG du 13 avril 2007 relative à la charte de laïcité dans les services publics.

(10) Loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.

(11) Article 1er du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, qui précise également que les limitations à la liberté du salarié de manifester des convictions doivent être proportionnées à l’objectif poursuivi. Cet article visait à énumérer les « les principes essentiels du droit du travail » destinés à guider les travaux de la commission d’experts et de praticiens nommée par le Gouvernement en vue de la refondation de la partie législative du Code du travail.

(12) Rapport n°3675 de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale en première lecture (p.139).

(13) En effet, nombreux ont été les parlementaires à estimer que cette disposition risquait de « cristalliser les inquiétudes » et d’éclipser la « philosophie générale » du projet de loi (voir notamment le rapport n°3675 de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale en première lecture).

(14) Arrêt n° C 157/15 du 14 mars 2017, Samira Achbita, c./ G4S Secure Solutions NV, en réponse à une demande de question préjudicielle de la Belgique.

(15) Au sens du droit de l’Union européenne et, plus précisément, au sens de la directive 2000/78 CE, dont les deux premiers articles prévoient notamment que constitue une discrimination directe le fait de traiter une personne « de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable » pour des motifs tenant à « la religion ou les convictions, l’handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ».

(16) Arrêt n° C-188/15 du 14 mars 2017, Asma Bougnaoui, c./ Micropole SA, en réponse à une demande de question préjudicielle de la France.

(17) Déclaration pour la laïcité, 3 octobre 2016.

Raconter, analyser, avancer.

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