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Les Algériennes fer de lance du mouvement contre le 5e mandat


Vendredi 8 mars 2019, le peuple algérien était à nouveau dans la rue pour protester contre un 5e mandat. Ces cortèges pacifiques, festifs et civiques réunissent autant d’hommes que de femmes. Des femmes qui n’ont pas attendu la date du 8 mars pour prendre en main leurs destins et qui comptent bien participer à écrire l’Histoire du pays.

Sans remonter à des temps immémoriaux, l’histoire politique de l’Algérie montre que la femme a toujours été de toutes les luttes. Mieux, il lui est arrivé souvent de mener le combat.

On peut citer quelques personnalités féminines qui ont joué en Algérie un rôle politique important.


De Tin Hinan ou Antinéa, la reine des Touareg de l’Ahaggar à la fin du IVe siècle, à Louisa Hanoune qui a été la première femme du monde arabe à se porter candidate à une élection présidentielle, en passant par la célèbre Kahina, une prêtresse à laquelle ont prêté allégeance des milliers d’hommes pour mener la guerre, sans omettre Lalla Fatma N’Soumer, toutes ces femmes ont en commun une exceptionnelle intelligence des enjeux de leur époque, et souvent une liberté de ton acérée.


Tin Hinan

Depuis le 22 février que le peuple est dans la rue, la femme algérienne a été de tous les rendez-vous.


Pas de transport


Avec un mouvement de contestation populaire qui va en s’amplifiant ce vendredi, qui coïncide avec la Journée internationale de la femme, revêt une signification particulière.


Eu égard à leur importance démographique au sein de la société, les femmes ont de tout temps constituées un enjeu politique majeur. La participation des femmes contre le cinquième mandat du président Bouteflika promet d’être massive sinon décisive.


Cette force sociale, susceptible de faire basculer, pas moins, le devenir du pays semble est très redoutée par le pouvoir.

L’influence de cette population dans la société algérienne et son potentiel électoral a amené les autorités à prendre des mesures draconiennes : les trains, le métro et le tramway ne circuleront pas dans la capitale. Peine perdue.


Les banlieusards feront fi de cette ultime intimidation matinale, du reste ridicule et prendront le fameux «train onze» (la marche à pieds).

Décidés à retrouver pacifiquement leur dignité, les manifestants marcheront, quoi qu’il arrive, aujourd’hui nombreux dans Alger intramuros. En haik (habit traditionnel algérois), en hijab ou «civilisées», les femmes, de tous âges et de toutes conditions, sont déjà des milliers à accourir des quatre coins de la capitale pour dire «Non» à Bouteflika et au système.

Manifestation du 8 mars 2019, Alger. © Mira Gacem pour MeltingBook



Ali Ghediri, persona non grata


De visu, le dispositif de sécurité est sensiblement renforcé. Et puis très vite, le réseau téléphonique perturbé et l’internet coupé !

Alors que des forces antiémeutes appelées «les casques bleus» sont déployés en nombre devant la Grande Poste, un hélicoptère ne cesse de bourdonner dans le ciel. Assurément, l’animation est inhabituelle pour un vendredi.


Des groupes de jeunes se rassemblent bien avant l’heure de la prière et entonnent déjà leurs chants rebelles. “klitou el bled, ya seraquine”, (vous avez pillé le pays, espèce de voleurs) et «Chaâb yourid iskat ennidam» (le peuple exige la chute du régime), un slogan qui a fait déchoir, rappelle-t-on, plusieurs dictatures arabes.


Manifestation du 8 mars 2019, Alger. © Mira Gacem pour MeltingBook



L’affront est donc devenu public. À la place Maurice Audin, Ali Ghediri, général à la retraite, considéré, à tort ou à raison, comme un «outsider» face à Bouteflika est vite rabroué par les manifestants aux cris de «Dégage, dégage ».

Il faut dire que ce candidat «atypique»a décidé d’aller aux élections «qu’il vente ou qu’il neige» selon ses propres déclarations. Ce qui a été perçu par les manifestants comme un «défi» lancé au mouvement de contestation qui, faut-il rappeler, est réfractaire à toute idée de scrutin dans les conditions actuelles.


«Selmiya, Selmiya»


Cela n’empêche que le caractère pacifique de la manifestation est régulièrement réitéré : « Selmiya, Selmiya » (ndlr : « Pacifique, pacifique »), « Djeich chaâb khawa khawa » (« Armée, peuple, frères »).


L’ambiance est festive. Il faut dire que les manifestants sont venus aujourd’hui en familles. Il y a même des mamies et des enfants en bas âge. La manifestation se déroule par ailleurs sous le signe du patriotisme.


Assia Aouadi

Les couleurs nationales sont pour ainsi dire, partout enveloppant les corps ou pavoisant les balcons. La foule se fait soudain plus dense. Le boulevard Amirouche est noir de monde. Les rues avoisinantes également.


Impossible de se frayer un chemin. Une occasion inespérée pour discuter du sort fait aux femmes en Algérie avec Assia Aouadi qui a fait le déplacement d’Istanbul pour être présente à la manifestation d’Alger.


Elle se veut tranchante :


« Prés de 60 ans d’un travail de sape d’un pouvoir mâle machiavélique, dressant les uns contre les autres et fomentant les complots ne sont pas venus à bout de l’unité entre hommes et femmes. Toutes les pseudos «avancées» dont aurait bénéficié la femme algérienne sous l’ère Bouteflika et dont on ne cesse de nous bassiner ne sont, en réalité, que des leurres ou tout au moins des concessions non-dénuées d’arrière-pensées politiques. Tout le monde sait que depuis qu’il est président, Bouteflika n’a cessé de modifier les lois pour renforcer son pouvoir et amender la Constitution pour se maintenir à la tête de l’État».



Benkhedda, le martyr


Un peu plus loin, pour éviter les bousculades, nous faisons une pause pour interroger Fatiha, une jeune fille en hijab sur la condition féminine en Algérie :

« Malgré l’évolution juridique les comportements des hommes envers les femmes se sont nettement dégradés, radicalisés, ces dernières années».

L’Etat qui se veut garant des libertés est même soupçonné d’utiliser l’islamisme pour mater la société à travers notamment un moralisme inquisiteur.


Elle en veut pour exemple que les autorités sont impuissantes à juguler le phénomène du divorce.



«Les chiffres explosent. Depuis 2005, l’initiative de rompre unilatéralement le mariage n’est plus l’apanage de l’homme puisque la femme dispose grâce à un amendement du Code de la famille d’un droit de divorce qu’on appelle la « kholaâ« ».



Avec l’aggravation du phénomène du divorce qui continue à disloquer des familles entières, Fatiha, jeune célibataire craint par-dessus tout le statut dévalorisé de la femme divorcée dans la société algérienne.


Soudain, une image émouvante interpelle les marcheurs : le frère du de Hassan Benkhedda portant à bouts de bras le portrait du «martyr de la dignité», décédé des suites d’un arrêt cardiaque à l’âge de 56 ans lors de la marche populaire de vendredi dernier.


Symbole fort s’il en est, ce décès de Hassane Benkhedda, mort «l’Algérie au cœur» restera dans les annales de ce mouvement populaire né postindépendance. Et pour cause ! Le défunt était le fils de Benyoucef Benkhedda, premier président du gouvernement provisoire algérien (1958-1961).


Une minute de silence à sa mémoire était prévue à 15 heures mais elle sera très peu suivie faute de coordination. Son frère recevra néanmoins les condoléances de milliers d’algérois qui saisiront cette occasion pour exprimer leur compassion.


Un printemps algérien


À présent, la foule converge vers le Boulevard Mohamed V, ce sont des cohortes humaines. Du jamais vu à Alger ! La police tire aux gaz lacrymogènes.


Très vite, sortent les bouteilles de vinaigre et les jeunes s’aspergent le visage.


Pendant que quelques «irréductibles» tentent de forcer désespérément le cordon sécuritaire pour aller en direction d’El Mouradia, siège de la Présidence de la République toujours sous très haute surveillance les nombreuses familles venues partager un grand moment de convivialité commencent à se disperser dans le calme.


Devant l’absence de transports en commun certains s’apprêtent à marcher encore de longs kilomètres. La marche dans la marche, quoi !


S’en suit alors, le rituel du ramassage des ordures par les jeunes dans de grands sacs en plastique. Une leçon de civisme, une qualité qu’on croyait disparue à jamais en Algérie.


Aujourd’hui, le printemps n’en est qu’à ses débuts. Pour les millions de manifestants enthousiastes, la saison des amours finira par tenir ses promesses et porter tous ses fruits.

Mohamed-Chérif Lachichi, journaliste, a exercé tout d’abord dans le secteur public économique pour entamer, dès les années 1990, une carrière de grand reporter dans la presse écrite algérienne. Il publie le roman "La Faille" (2018, Ed. L'Harmattan).

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